mardi 17 juillet 2007

Critique "Junebug"

Junebug
de Phil Morrison
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


ART DE VILLE, ART DES CHAMPS

Rencontre au sommet entre le cool et le pittoresque, Junebug est au cinéma ce que le Naïf est à la peinture : aussi déroutant de simplicité qu’attachant.


À travers la manne de films indies américains (faites-vous à l’idée, c’est la saison), on ne s’étonnera guère de retrouver quelques spécimen campagnards plus exotiques les uns que les autres. Comme si les cinéastes dits «excentriques» retrouvaient chez leurs homologues côté jardin une similitude dans le décalage avec ce qui est normatif, l’authenticité en prime. Junebug joue dans ces marécages-là, mais à la manière de Searching for the Wrong-Eyed Jesus ou Me and You & Everyone We Know, aucun parti-pris ne vient empoisonner l’environnement observé.


C’est l’attitude qu’ont adopté le cinéaste Phil Morrison, ex-clippeur pour Sonic Youth et Superchunk, et son scénariste Angus MacLachlan, tous deux natifs de la Caroline du Nord, aussi bien dire la basse-cour des États-Unis pour plusieurs de leurs compatriotes des grandes villes du Nord. Mais le Sud de Junebug sert plus d’ancrage à des dichotomies familiales développées entre ceux qui restent et ceux qui partent qu’un prétexte à filmer les habitants comme on regarderait les ouaouarons. Et vous en connaissez beaucoup de films qui débutent sur une série de retraités en train d’hululer à gorge déployée?


Une courtière en art rustique profite de sa visite chez un artiste reclus près de Raleigh-Durham pour séjourner chez les parents de son conjoint, avec qui elle s’est récemment mariée. Celui-ci est un peu réticent à retourner dans sa famille, qu’il n’a pas vue depuis trois ans. Son père stoïque et sa mère ratoureuse continuent d’héberger leur fils cadet, un poltron scotché à son journal, ainsi que sa femme extravertie avec qui il attend incessamment un enfant. Pendant quelques jours, le Nord citadin essaie d’apprivoiser le Sud rustique, dont l’équilibre réside dans la communauté et la prière.


Le défi d’échapper aux clichés de lenteur et d’autarcie associés aux États sudistes était considérable, et Junebug se tire plutôt d’affaire si on fait abstraction d’une surdose de rites et d’artéfacts bucoliques tout droits sortis d’un numéro de Country Living de 1982. Ok, le père gosse bien un canard en bois en fredonnant un gospel, le fils arbore la moustache et sa femme n’hésite pas à se recueillir à chaque instant que le Bon Dieu le lui permet, mais on retiendra à leur décharge un sens du partage et une franchise pour lesquels la citadine se prend d’admiration, en dépit de leur réticence à son égard.


L’automne et le Thanksgiving amènent avec eux leur lot annuel de films sur les réunions de famille, mais Junebug est un tout autre type d’oiseau : les transitions sont faites de plans fixes silencieux, son rythme est volontairement désarticulé selon les ambiances, et ses personnages se gardent parfois une petite gêne aux dépends du spectateur. Son message, lui, est universel : ce qui nous habite ne sort pas souvent, surtout lorsque nous avons le sentiment de ne pas être à notre place… comme quoi le camping de foyer peut encore former la jeunesse.


© 2007 Charles-Stéphane Roy