de Sam Mendes
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
LA COMPAGNIE Des pieds plats
Les premières victimes de la guerre seraient les soldats mêmes, clame Jarhead. La démonstration est fluide, mais peine à mobiliser les troupes.
Tout drame de guerre, qu’il soit intense, rasant, patriotique ou pacifique, fascine par son exploration du détraquement d’une machine montée boulon par boulon, fantassin par fantassin, cadavre par cadavre. Vu de l’extérieur, les participants à la cacophonie des nations passent pour des dégénérés, des têtes fortes la cervelle savonnée à coups de « services à la patrie » et autres « Be All That You Can Be », des criminels en uniformes dont les plus réfractaires seraient des esprits lucides chargé de rapporter les failles d’un système plus porté sur l’attaque que la défense.
Pour ceux-là même derrière les tranchées, tous les Anthony Swofford de ce monde, ces militaires sentimentaux décidés à mettre sur papier les traumatismes du combattant, représentent des pleurnichards, des mauviettes, des pissous, des libéraux qui s’ignorent, et surtout un affront contre la profession la plus noble au monde (après le culte de Dieu, commandant en chef des forces armées), d’autant plus insultante qu’elle émane de ses propres rangs. Signe des temps, le nombre de ces best-sellers sous les balles s’est multiplié et trouve preneur autant chez les militants de gauche que les vétérans abandonnés par la patrie une fois devenus rentiers. Et Jarhead a rendu son éditeur pas mal riche…
La première heure du Jarhead grand écran est prenante, drôle et bien foutue, avec juste ce qu’il faut de poli pour croire un instant qu’il est enfin venu le jour où on pourra se référer à autre chose que Catch 22, Deer Hunter, M.A.S.H., Full Metal Jacket ou Apocalypse Now pour décrier les ironies de la guerre moderne. On y découvre le bataillon de Swofford, un soldat ni courageux ou particulièrement empoté, engagé dans l’armée par mimétisme paternel. Ses frères d’armes le testent, son état-major lui impose un couvre-feu psychologique et, pire que tout, les seules missions qu’on lui octroie en sol irakien consistent à brûler le contenu des toilettes mobiles, enregistrer des témoignages vidéo bidons destinés à rassurer sa famille ou jouer au football en plein désert pour tester les nouveaux modèles de masques à gaz devant les caméra de télévision nationales.
Lorsque on sonne l’alerte, c’est pour creuser des trous ou nettoyer les résidus de pétrole jaillissant des puits enflammés qui ont marqué l’imaginaire des téléspectateurs de l’opération Desert Storm. Pas de tueries sanglantes ni de raids de sauvetages spectaculaires : la guerre du Golfe Persique de 1991 se joue dans son propre camp, où la crainte première est de se faire bombarder par les chasseurs aériens des copains.
Recruté pour son savoir-faire sur des drames où les héros se désolidarisent de leur milieu, le cinéaste Sam Mendes (American Beauty, Road to Perdition) a contribué à mettre de l’avant le réalisme de la vie en temps d’occupation étrangère (un mur de la honte où sont affichées les épouses adultères des troupiers, des soldats unilingues pris de court devant une caravane arabe suspecte) sans imposer de discours fort, qu’il soit idéologique ou simplement dramatique. Tout comme les soldats, on attend l’action et on revient à la maison avec peu à raconter.
© 2007 Charles-Stéphane Roy