de Charles Binamé
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
REDONNER L’Idole AUX PARTISANS
Ken Scott avait la lourde tâche de porter le flambeau du Gretzky des années 1940-60. Attelé de formules gagnantes, son Maurice Richard sent la transpiration et la besogne de longue haleine. À quelques jours de la sortie du film, le scénariste nous livre ses commentaires d’avant-match.
Le hockey est curieusement peu présent dans le cinéma canadien, que ce soit à l’époque des six équipes originales de la Ligue nationale de hockey (LNH) ou en ces temps de performances culturelles. Et par là, on ne parle pas de l’humour de ruelle des Boys ou de l’ancêtre du Cœur a ses raisons, la télésérie Lance et compte : on réfère plutôt au sport excitant et fédérateur capable de faire monter la fièvre le samedi soir. Au faîte de sa période revival, il était prévisible que le cinéma québécois chausse les patins du Glorieux qui a soulevé le Canadien, l’une des équipes sportives les plus connues sur la planète.
C’est Guy Gagnon, l’homme derrière le comeback de Séraphin et d’Aurore, qui eu l’idée de signer les joueurs autonomes les plus productifs sur le marché – le cinéaste Charles Binamé, la productrice Denise Robert et le scénariste Ken Scott (La grande séduction) et les faire jouer pour la première fois sur un même trio. Maurice Richard germait depuis longtemps dans l’esprit du distributeur, convaincu que le héros de plusieurs générations avait sa place au grand écran, presque 50 ans après son dernier coup de patin. Et il n’avait pas tort : le numéro 9 du Canadien a frappé l’imaginaire québécois au même titre que René Lévesque ou Félix Leclerc. Et on a tous vu ce que ça a donné de mettre la vie de Félix Leclerc au petit écran…
Le Maurice Richard vu par Scott et Binamé rappelle l’époque pas si lointaine où l’anglais occupait les états-majors et que le canadien-français se parlait dans l’inconfort des logements étroits des quartiers populaires. C’était la grande noirceur des années 1940, le peuple avait mal à son portefeuille et la LNH agonisait avec son spectacle lamentable et son administration cavalière. En 1942, Richard, verte recrue taxée de citron à cause de ses nombreuses blessures, endosse le chandail du Tricolore et transformera la ligue entière pendant les 18 années à venir. La touche «Rocket» consistait à foncer au but et déjouer le gardien adverse de toutes les manières inimaginables, surtout lorsque l’enjeu était dramatique.
544 buts, 421 passes et huit Coupes Stanley plus tard, Maurice Richard est déifié au Québec comme dans le reste de la LNH. Mais déjà en 1955, il passait au rang de mythe alors qu’au sommet de sa gloire, le président de la ligue le suspend pour la balance de la saison en cours après qu’il ait passé le K.O. aux poings à un arbitre durant une bagarre générale. Une émeute s’ensuivit sur la rue Ste-Catherine et le surlendemain, Richard appelle au calme la population, qui prend acte ; il n’en fallait pas plus pour que les médias ne voient dans l’incident une prise de conscience collective du fait culturel francophone d’Amérique du Nord, pendant populaire d’un mouvement logé entre la parution du Refus global de 1948 chez les intellectuels et la Révolution tranquille des années 1960 au niveau politique.
Mais pourquoi le Rocket a dominé autant son sport ? « Lorsqu’il est arrivé chez les pros, la LNH était sur le point de fermer », explique Ken Scott. L’ex-Bizzaroïde est posé mais manifeste une affection tangible pour le film et une époque qu’il a dévorée par les livres d’Histoire. « On donnait les billets au Forum ou ailleurs, et ils ne trouvaient pas preneur. Beaucoup disent que ligue a survécu grâce à Richard ; partout où il jouait, tout le monde voulait aller voir le « Frenchman ». Ils adoraient le détester, car le Rocket était passionné, jouait avec beaucoup d’émotion et avait l’impression qu’il devait faire partie d’une solution. Richard n’était ni un stratège ni un passeur exceptionnel comme le fut son frère Henri, sa spécialité était simplement d’enfiler les buts : il était considéré comme le meilleur joueur de la ligne bleue au filet. »
Quel est donc l’intérêt de parler d’une machine à records ? « D’une part, la multitude d’ouvrages sur le Rocket se recoupent mais se contredisent parfois, reprend Scott. Tout le monde a une opinion sur Maurice Richard. Comme il n’y avait pas de télévision au début de sa carrière, au lendemain d’une partie, les journalistes avaient chacun leur idée du déroulement du match de la veille ! Et il y avait une pression populaire : lorsqu’on a annoncé que j’allais écrire le scénario du film, on venait me taper sur l’épaule dans les cafés où je travaillais sur mon ordinateur portable pour me dire “Oublie pas de mettre ça dans le film !”. D’autre part, le projet a été pour moi un coup de foudre instantané. Voir du hockey sur grand écran, parler des années 1940-50, voir le no. 9 en action, tout ça m’emballait. Il y a bien eu une Minute du patrimoine et une minisérie sur lui, mais le cinéma était le médium tout indiqué pour raconter son histoire. Le cinéma, c’est de l’action : on pose des gestes. Richard ne parlait pas beaucoup, il répliquait par ses performances sur la patinoire. Et il ne s’est pas fait de films ici où l’on racontait l’Histoire à travers le hockey. »
Scott a mangé tous les livres au sujet du Rocket, s’est enquérit de toutes ses statistiques, et malgré cela, un mystère persistait : il voulait savoir pourquoi l’homme était devenu symbole pour un peuple à travers les yeux de ses proches. « On a l’impression que c’était facile pour lui de battre tous ces records, dénote le scénariste. Or ça a été tout le contraire, surtout à son arrivée. C’était un homme qui a beaucoup souffert, physiquement et psychologiquement. On s’est acharné sur son cas parce qu’il fallait le freiner pour espérer vaincre le Canadien, et il a appris à se défendre sur la glace et dans les journaux. Ces attaques l’ont forcé à devenir un meilleur joueur et un meilleur homme. Il n’a jamais cherché à devenir un héros mais il a accepté d’en payer le prix. »
Bénéficiant d’un des budgets les plus faramineux du cinéma québécois (plus de 8 millions $), Maurice Richard sort quelques semaines avant Les Boys 4 et foulera plus d’une centaine d’écrans dans le Rest of Canada. Avec de solides acteurs et les moyens de ses ambitions, le film devrait faire mouche et permettre au numéro 9, même 5 ans après sa disparition, d’attiser encore les foules.
© 2007 Charles-Stéphane Roy