mardi 17 juillet 2007

Critique "Me and You and Everyone We Know"

Me and You and Everyone We Know
de Miranda July
2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal

))<>((
LA VIE COMME AUTANT D’ÉMOTICONS
Un soleil pervers illumine le cinéma indépendant américain, gracieuseté de l’intrigante jovialiste artsy Miranda July, qui a tenté de nous déchiffrer sa poésie.


À l’autre bout de la ligne, Miranda July ne parle pas, elle agence des mots. À l’écran, sa silhouette frêle s’articule au son d’une voix qui n’est pas sans rappeler celle de Napoleon Dynamite – bizarre et envoûtante, la Miranda, comme son Me and You and Everyone We Know (MY+EWK), dont on sort avec l’irrésistible envie de courir, de parler à des inconnus, de transformer nos folies en réalités. Rares sont les films qui parviennent à irradier notre humeur et nous forcer à voir le bon côté des choses. La cinéaste s’applique pourtant ce régime depuis sa tendre enfance passée entre Berkeley et Portland à enregistrer seule des conversations absurdes, puis plus tard à performer sur les planches avec des bandes phonos ou à multiplier les pochades vidéo naïves.


Déconcertante au premier abord, sa démarche, impensable consensus entre Laurie Anderson et Andy Kaufman, se veut celle d’une solitaire à la timidité entière, prête à se lancer dans des interprétations loufoques afin d’intégrer le vaste monde. Le charme est bien sûr de la partie. À demi voix, July met à jour sa vision : « J’essaie de créer un discours autre que ce que les gens sont habitués à voir au Musée ou lors de performances en partant de la vie courante pour soupeser les certitudes – pourquoi je travaille à cet endroit, qu’est-ce qui me rend heureux chez mon petit ami, suis-je suffisamment attentive à mes vieux parents, etc… Tout prend racine à partir de besoins bien tangibles et légitimes, et l’évolution de ces besoins. C’est ma façon de toucher les gens, j’aime trouver ce qu’une journée peut m’apporter, de qui peuvent bien s’entourer mes personnages. »


Dans MY+EWK, July se met au centre d’un discret voisinage. Lorsqu’elle ne véhicule pas des personnes âgées, sa Christine crée des mondes à partir de photos de voyage, de cadres ou de chaussures. Autour d’elle, un microcosme malaisé attire l’attention du sexe opposé par des moyens inusités : un célibataire colle des messages érotiques dans sa fenêtre pour allumer des adolescentes, une fillette de neuf ans fétichise un trousseau d’articles ménagers comme d’autres les poupées, un divorcé s’immole la main pour que ses deux gamins l’écoute, l’un d’eux clavarde sexualité avec un internaute anonyme tandis que son aîné se soumet aux compétitions fellatrices de ses copines d’école… Pour obtenir un peu d’amour et de reconnaissance, toutes les excentricités sont permises chez July.


« Attendez, j’ai tout de même une vision plutôt rassembleuse de la famille ! conçoit July. Si les enfants et les adultes de mon film partagent peu de choses, leurs destins sont toutefois interreliés, mais pas nécessairement de la manière la plus traditionnelle, je le reconnais… ». Certes, mais lorsqu’on se joue la mince frontière entre l’innocence et la perversion comme à la marelle, la condamnation ou le mépris rôdent toujours, là où se terre habituellement les incartades de Todd Solondz, auxquelles MY+EWK fut comparé à maintes reprises. « Je me suis constamment questionnée sur la pertinence de montrer tel ou tel acte, et la manière de montrer tout ça, assure la cinéaste. J’ai assurément besoin d’un espace moins restrictif que celui prédominant dans la culture morale populaire afin de ressentir les situations différemment. Et je me fais toujours confiance pour ne pas tomber dans des opinions trop tranchées sur les individus et me concentrer sur leurs motivations profondes. »


Autant de scènes lubrico-ludiques peut agacer – les enfants expliquent par le symbole ))<>(( comment expulser et réintroduire le caca – mais la comparaison entre les jeux des grands et des petits tient la route tant la démarche de July dégage plus d’ingéniosité que de malice. Mais doit-on tout mettre sur le compte de la fausse candeur de Christine, son alter ego ? « Tout cela provient bien sûr de mes propres fantasmes et inhibitions, déclinées en autant de personnages, acquiesce l’actrice. Par ailleurs, Richard et Christiane ne pensent pas réellement à coucher ensemble, plus interpellés par l’espoir d’une connivence émotionnelle qui passerait par le langage. Peut-être qu’elle est effectivement naïve à sa façon. Mais je suis plutôt timide de nature. Et à l’écart. Mon personnage reflète l’état d’esprit de mes vingt ans : noire, brouillonne, perverse, seule. J’ai heureusement évolué sur d’autres réalités ! J’essaie de maintenir un regard pur sur les gens et leur manière de vivre, seulement, je crois que je les apprécie plus qu’auparavant ! » Occasionnellement poseur, souvent surprenant, MY+EWK réussit tout de même à faire renaître la vie dans l’art et de l’espoir chez les indies.


© 2007 Charles-Stéphane Roy