mardi 17 juillet 2007

Critique "Proof"

Proof
de John Madden
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA RENTRÉE EN RETENUE

Entre Broadway et Hollywood, Anthony Hopkins et John Madden ont repris le chemin des campus. Dans Proof, le premier en fait trop et le second, pas assez. Entretien avec deux premiers de classe.


La solution se trouve-t-elle au cœur des problèmes de Proof ? Réaliser un film émouvant sur deux générations de génies des maths demandait un certain doigté, celui de faire émerger le doute au fond de l’esprit cartésien sans tomber dans l’illumination spontanée. Entre les mains du cinéaste anglais John Madden, qui n’a plus grand-chose à prouver depuis les récompenses obtenues par Shakespeare in Love et Mrs. Brown, la pièce de David Auburn, un succès de longévité à Broadway et Londres depuis 2000, bénéficie d’une expertise certaine en matière d’adaptation. Madden et sa co-scénariste Rebecca Miller ont décidé de couper la poire en deux : on peut rendre l’algèbre sexy, mais jamais aux dépens de la rigueur du texte. L’équation balançait peut-être sur l’ordinateur, mais à l’écran, tout semble se confondre : les chercheurs passent pour des carriéristes fêlés, tandis que les relations interpersonnelles paraissent trop calculées, à la solde d’une logique émotionnelle qui ne sait comment faire place aux élans du cœur. Madden aurait pu sanctionner le génie intempestif de la pièce de Auburn, mais a préféré l’approcher en cancre studieux.


Proof confirme en entrée de jeu que les enjeux philosophiques peuvent largement supplanter les entraves dramatiques d’un récit, fussent-ils hermétiques ou non (à preuve le chapelet de sophismes dans le nettement moins moraliste Naked de Mike Leigh). Faussement compliqué, le film déboîte par tous les détours possibles l’histoire plutôt linéaire de Catherine, une étudiante prise entre le fantôme d’un père exigeant, mathématicien révolutionnaire décédé avant d’avoir pu compléter une théorie trop élaborée pour le commun de ses pairs ; le retour d’une sœur intrusive doutant de sa santé mentale et un jeune loup universitaire à la recherche d’une reconnaissance instantanée à même les notes privées du son défunt prof. En dépit de cette somme considérable de variables, Madden multiplie les retours en arrière et les confrontations à l’emporte-pièce alors que l’essence même de Proof se trame au cœur de l’esprit tourmenté des personnages. « Nous avons dû réimaginer la pièce de David Auburn pour trouver une narration cinématographique, alors qu’au théâtre, aucun personnage ne prend le devant de la scène, reconnaît le cinéaste rencontré à Toronto. Il était important pour nous que le spectateur puisse suivre l’évolution de l’histoire en s’identifiant à Catherine, qui doit trouver sa place au milieu de son père, ses travaux et sa vie affective. »


Pas facile de récupérer pareille matière au cinéma, de vulgariser les maux d’âme de Ph.D. et traduire leurs propres insécurités masquées derrière des visions du monde aussi complexes qu’abstraites. « J’ai voulu traiter les mathématiques d’une manière accessible, selon une approche romantique, renchérit Madden. Mais comme dans n’importe quel film, le métier des personnages permet principalement de couvrir leurs traits de caractères, leurs blessures ou leurs envies, et cela même si la première discussion passionnée du film entre les futurs amants porte sur les nombres premiers ! » Pour un, Sir Anthony Hopkins conçoit que le génie même puisse être perçu comme une maladie et que les érudits passent facilement pour des cinglés, tant leurs rapports avec le citoyen moyen excèdent les civilités d’usage : « Personne ne sait si Robert (le professeur et père de Catherine) est fou, obssessif-compulsif, excentrique ou seulement très enthousiaste, et c’est dans ces zones mitoyennes que je me suis discipliné à rendre le personnage. La folie reste quelque chose de totalement subjectif, et des rôles comme celui-ci me forcent à trouver une logique derrière les actes sociaux les moins conventionnels », s’enthousiasme l’acteur anobli.


Reste que cette famille vit les mêmes rapports dysfonctionnels que les autres, surdouées ou pas, et que l’appartenance et l’émancipation s’additionnent forcément au prix de quelques concessions. « Nous sommes tous à la recherche de certitudes et d’approbations, observe Hopkins. Pour certains, la revendication d’une découverte devient essentielle pour valider leur valeur, leur position et leur identité. Quoi que l’on fasse, et peu importe les motifs, nous devrions nous accomplir uniquement par passion, pour s’élever par-dessus nos propres peurs. » Et de la passion, Proof n’en manque pas ; voilà ce à quoi aurait pu aspirer A Beautiful Mind, s’il avait pu nous convaincre que l’imagination et non le QI permet d’entrevoir le champ des possibles, et nous faire croire que nos fantasmes, scientifiques ou amoureux, pourront éventuellement se concrétiser.


© 2007 Charles-Stéphane Roy