mardi 17 juillet 2007

Critique "The Constant Gardener"

The Constant Gardener
de Fernando Meirelles
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


L’extorsion humanitaire à la sauce HP

Le lobby des pilules saccage l’Afrique sous les yeux d’un diplomate anglais bien discret avant qu’intervienne le bad boy brésilien Fernando Meirelles et son cinéma de guérilla chic choc.


L’été cinéma tire bel et bien à sa fin, et avec The Constant Gardener dans les blocks de départ, le demi-fond menant aux Oscars débute par une première enjambée puissante et affirmée. Pas de doute, Focus Features, filiale des studios Universal reconnue comme la boîte indie la plus hot à l’Est d’Hollywood, a endossé un aspirant racé et impertinent. Surtout lorsqu’on remarque dans son équipe le papy du roman d’espionnage John Le Carré, le dernier amant romantique Ralph Fiennes, et la coqueluche du cinéma sud-américain Fernando Meirelles, qui avait jeté tout le monde par terre il y a deux ans avec ses jeux de caméra-torpille à l’assaut des ruelles de la Cidade de Deus.


Disparate au possible, cet ensemble bien en vue a dû se discipliner à ramer avec cadence pour ramener dans la même salle les fans de croisades morales et d’amours déchirés sur fond de génocide socio-économique. Déjà qu’il est difficile de rajeunir du thriller politique lorsque même les vétérans, comme Sidney Pollack et son Interpreter, se prennent les pieds dans les ficelles trop tendues de ce genre archi-usé. Encore là, l’équation à la base de Constant Gardener a vraisemblablement été ébauchée par un producteur malin visiblement par les scores surprenants du beau risque encouru par The Bourne Supremacy : rien de mieux qu’adapter un auteur multimillionnaire pour accueillir un auteur (respectivement Robert Ludlum et Paul Greengrass) dans la machine sans affecter les ventes de maïs en pleine canicule. Les grands noms se seront rencontrés une fois de plus dans les meilleurs intérêts possibles…


Une fois assimilée la formule country club du projet, l’adhésion au film se fait avec plus ou moins de bonheur, tiraillés entre l’establishment et la loi de la rue. Car c’est bien de choc des classes et des ethnies qu’il est question ici, et, une fois n’est pas coutume, c’est au tour du richard de se retrouver dans la cour arrière du job. L’horticulteur du titre ne s’adonne pas complètement à ses fleurs, il s’occupe des oignons de la Haute Commission britannique au Kénya, champ de mines où des multinationales pharmaceutiques testent impunément leurs nouveaux médicaments sur la plèbe locale, rongée par le sida. Mais quiconque ayant vu Being There sait qu’il vaut mieux se méfier de l’indolence des jardiniers, d’autant plus si on le dit « constant ».


Et Justin Quayle apprendra à le devenir, comme en témoignent ses inlassables recherches pour retrouver l’assassin de sa conjointe, jeune activiste à la dent longue et la mèche courte sur la trace d’un complot institutionnel visant à se servir du continent noir comme bassin expérimental. Les maladies ont elles aussi leurs meilleurs vendeurs, et les « pharmas », ces branches corporatistes spécialisées dans la recherche et le développement, l’ont vite compris : les troubles cardiaques, la calvitie et l’impotence sont surtout blanches, occidentales et lucratives, alors que la tuberculose et la malaria restent des fléaux du Tiers monde nullement rentables, si bien qu’un véritable marché noir s’organise autour de l’observation de produits génériques sur des cobayes de souche.


Le Carré avait synthétisé tout ça selon cet alliage unique de dénonciation et de mystère, faits et chiffres à l’appui. Mais Justin Quayle n’est pas George Smiley, et sans la classe et l’intelligence de Fiennes, le personnage aurait rapidement été piétiné par la fougue et le charme de sa femme Tessa, incarnée par une Rachel Weisz qu’on ne croyait jamais voir à ce niveau, galvanisante de conviction et d’abandon. Filmé en Angleterre, en Allemagne, au Kenya et au Soudan, The Constant Gardener met en avant-plan des contrées et des peuplades trop souvent tapissées sous la carlingue des avions, mais continue à s’appuyer sur cette bonne vieille tradition britannique qu’est la culpabilité post-colonialiste.


Dans le plus pur style Meirelles, les séquences « pour faire beau » se disputent l’écran avec celles « pour faire vrai ». Les idées formelles sont là, mais ne sied pas toujours à ce type de film un rien schématique. Comment alors rendre justice à tout ce que Londres compte de société secrète, de têtes louches et de lécheurs de bottes à la solde de l’aristocratie… ô joie que celle de retrouver Bill Nighy, Pete Postlethwaite, Danny Huston et Gerard McSorley (le gratin du genre, quoi), tous d’impayables old chaps, enfilant avec soin les cigarettes et les jurons à l’heure du thé. How distinguished ! Si ce type étiquette vous déplait, redirigez-vous plutôt vers The English Patient ; mais si la consistance vaut mieux que la constance, Darwin’s Nightmare est tout indiqué pour vous.


© 2007 Charles-Stéphane Roy