de George Lucas
2005
Paru dans la revue Séquences
Le conte est bon
Alea Jacta Est. George Lucas a bouclé l’œuvre de sa vie et, du même coup, l’un des mythes les plus durables de l’Histoire du cinéma, laissant une légion de fans en deuil pour la seconde fois depuis 1983, année de la sortie de l’épisode VI – s’il faut se fier à ses dires, il n’y aura pas d’épisodes VII, VIII et IX de son vivant. En dépit du fait que le commun des mortels connaissait déjà l’aboutissement de l’épisode III, chaînon manquant entre la prélogie et le chapitre initial sous-titré A New Hope, il faut comprendre que l’intérêt envers la seconde série amorcée en 1997 réside dans le simple fait que l’histoire de la saga demeurait incomplète; on connaissait les aboutissants, manquait plus que les tenants de la légende.
Plus que jamais, il faut s’en tenir aux propos du réalisateur californien, qui a maintes fois clamé que les Star Wars ne formaient en fait qu’une seule épopée d’une quatorzaine d’heures, et c’est également selon cette perspective que le nous devons nous prononcer sur l’œuvre entière, une fois tous les éléments nécessaires en main. La formule des serials, celles des séries télé de son enfance comme de son ami et mentor Francis Ford Coppola (les pre/sequels du Godfather en 1974 et 1989), atteint sa pleine mesure avec Revenge of the Sith.
Depuis la petite révolution entamée en 1977 par les effets visuels bricolés de John Dykstra, la partition bravache de John Williams et le design sonore de l’inestimable Ben Burtt, bien des choses ont changé à Hollywood : le public semble s’être lassé des droïdes bouffons, de la psychologie juvénile et des postulats spirituels à numéros. Mais dans un esprit d’homogénéité, Lucas n’a fait que surenchérir sa méthode de travail d’antan, favorisant largement la post-production et le faste des accessoires et des costumes afin de compléter son cycle faustien de la manière la plus indépendante qui soit. Et la plus nostalgique de surcroît, auto-citant à plus soif son entière filmographie, des soldats clones immatriculés 1138 et des derbys spatiaux dignes d’American Graffiti aux personnages et aux scènes-clé des cinq autres épisodes de la série.
Tous pouvaient deviner que la République se muera en Empire grâce au concours de Palpatine et de son second Darth Vader, l’ex-Jedi Anakin Skywalker et M. Amidala au civil. Restait à savoir pourquoi. Après avoir sacrifié toute complexité psychologique et repoussé les personnages principaux dans d’innombrables détours dramatiques lors de Phantom Menace et Attack of the Clones, on craignait le pire pour le chapitre final, la clé de voûte du grand dérangement galactique. En dépit d’un agenda surchargé, Lucas a fait preuve d’un étonnant doigté pour mener à terme son entreprise. De simples pions fonctionnels, voire refoulés, les personnages reprennent l’avant-scène dans l’épisode III avec plus de charisme, de conflit et de passion.
À juste titre, il revient à Palpatine, la menace fantôme et maître d’œuvre de la réforme républicaine, de mettre le feu aux poudres en prodiguant tous les bénéfices du pouvoir à l’impétueux Anakin, qu’il soupçonne d’être encore plus puissant que Yoda et lui réunis. Si les méchants étaient tout de noir et les héros tout de blanc vêtus dans la trilogie initiale, l’épisode III arbore un gris insidieux (comme dans Darth « Sidious », raison sociale Sith de Palpatine), annonçant l’orage qui sévira de Naboo à Endor durant le règne impérial.
Tel qu’annoncé lors du préambule traditionnel en intertitres jaunes, « il y a des héros de chaque côté, le Mal est partout ». Les discours de Palpatine sur la politique et l’ordre moral, que l’on anticipait dogmatiques et manichéens, s’avèrent d’une nuance telle que le spectateur se voit lui-même obligé de reconsidérer les vertus du Code Jedi, dont les adhérents n’écartent désormais aucune ruse pour conserver leur influence au Sénat. Et peut-on encore parler strictement de complot Sith lorsque le Sénat adopte à l’unanimité (et avec une ovation debout, s’il-vous-plaît) la résolution de donner plein pouvoirs au Chancelier pour bâtir son Empire ?
De caricature simpliste sur le destin et le don de soi, la saga atteint ici une maturité certaine – quoique encore imparfaite et même risible durant les scènes d’amour forcées – pour la bonne et simple raison que Lucas assume enfin son propre côté obscur depuis qu’il s’est aperçu que l’Empereur était un pôle dramatiquement plus payant qu’Anakin, cet éternel faire-valoir peinant à gérer ses pulsions jusqu’au-boutistes. Pour ce space opera devenu dessin animé de luxe, c’était inespéré. Même s’il aura fallu attendre près de trente ans.
© 2007 Charles-Stéphane Roy