mardi 17 juillet 2007

FFM 05: Section USA

29e FFM
Section USA
2005
Paru dans la revue Séquences


Entre creux et remous


Les États-Unis étaient exclus de la compétition officielle de cette 29e édition, qui n’aura pas été aussi rocambolesque qu’appréhendé. Dans les autres sections, il fallait se tailler les brèches d’une industrie donnant maintenant dans la formule et les prises de tête à numéros. Car s’il faut dégager du FFM autre chose qu’une de ses nombreuses lacunes (l’exercice est toujours possible !), c’est sa position acquise de gré ou surtout de force à la périphérie du spectre indépendant, autrement dit aux marges mêmes de la marge. Et c’est, dans certains cas, beaucoup mieux ainsi.


À première vue, plusieurs productions affichaient les limites de leur budget de quat’sous : éclairages déficients, performances de jeu inégales, montages à l’emporte-pièce, trépieds de caméra à l’index – on ne se fait pas une virginité dans le long métrage sans commettre quelques maladresses ou débordements d’enthousiasme. Les cinéastes à leurs premières armes ont visiblement du front, mais l’imagination, elle, n’éclot pas toujours en même temps que le reste.


DU SEXE PLEIN LES POCHES

Pas d’argent, pas de vedettes : comment alors attirer l’attention de producteurs chevronnés pour espérer se faufiler un jour les doigts entre les cordons de la bourse ? Allez, hop : au lit ! Il faut en montrer plus, et le plus cru possible ; cette année l’aura confirmé avec éclat. Prenons le cas du prétentieux Kissing on the Mouth de Joe Swanberg, typique pochade vidéo fauchée filmée à huit mains dans un habitacle d’auto et deux appartements : sous prétexte d’aborder frontalement le flou du prélude post-universitaire, le film multiplie les gros plans de coït, les sexes et les poils pubiques entre deux témoignages fleur bleue où jonchent un incalculable nombre de « well, like, you know… » comme autant de « tsé, veut dire ». Voyez le genre. En beaucoup mieux, le premier film de Craig Lucas, The Dying Gaul, utilise l’homosexualité comme agent de confrontation entre un jeune auteur et le cadre d’un studio hollywoodien. Subversive à plus d’un niveau, l’adaptation de cette pièce sur l’ambiguïté et le remord sexuels se joue des représentations habituelles sur les jeux de pouvoir et de séduction malgré plusieurs échanges de clavardage jamais statiques et l’une des scènes de masturbation les plus saisissantes qui soit. Peter Sasgaard, dans l’un des rôles principaux, éblouit une fois de plus par la justesse et la sensibilité de ses moyens. Injustement absent du palmarès 2005, The Dying Gaul mérite une sortie DVD à grande échelle.


LA DROGUE : LE SEL DES INDIES

L’autre mamelle des cinéastes sous la quarantaine reste indéniablement (et tristement) les paradis artificiels et, par extension, l’univers des truands à la petite semaine, leurs travers et leurs abus – si un genre polarise tous les clichés, c’est bien celui-là, et Self-Medicated le rappelle violemment, autobiographique ou pas. La rédemption d’Andrew, étudiant rempli de promesses miné par la drogue et les méfaits, se produit au terme d’un amoncellement de dialogues de télésérie et un terrain de jeu (Las Vegas) qui aurait pu rendre plus parano encore les atermoiements risibles d’un enfant gâté pourri jusqu’au entrailles. Attardons-nous plutôt à London, prix du meilleur premier film cette année, et son action située principalement dans les immenses toilettes d’un loft où se déroule la fête de London, belle esseulée en mal de son ancien fiancé, qui s’envoie dans les narines toute la poudre pouvant lui tomber sous le nez en compagnie d’un banquier anglais aux mœurs insoupçonnables. Profilé comme un banal exposé sur la jalousie et les dépendances, London se conclue sur les chapeaux de roue par un étonnant échange sur la virilité mené par un chien fou magnifique nommé Jason Stratham. On ne le sous-estimera plus longtemps, celui-là.


SEUL OU AVEC D’AUTRES

Le vénérable Seymour Cassel s’empare du haut de l’affiche de Bitterweet Place en patriarche acariâtre et suspicieux envers ses deux filles, soudainement illuminé par le judaïsme au terme de sa vie. Le résultat, visiblement initiatique, n’en révèle pas moins chez la cinéaste Alexandra Brodsky un talent pour la composition d’ensemble ainsi qu’un amour inconditionnel envers ses acteurs. Mais comme l’amateurisme ne tue pas et peut même être transcendé, concluons en avouant notre attachement envers « All That You Love Will Be Carried Away », un court-métrage totalement désarmant, surtout si on s’attarde à sa trompeuse esthétique brocantée à la caméra domestique et sa parenté avec une nouvelle de Stephen King. James Renner n’a que 26 ans, mais sait déjà comment dénicher des têtes inoubliables et rendre vivant une série de réflexion sur la solitude, le porte-à-porte et les graffitis d’arrêts routiers. Nous nous rappellerons celles de Harvey Pekar (sujet d’American Splendor) et surtout de Joe Bob Briggs, laconique commis-voyageur au bout du rouleau. 26 courtes et déroutantes minutes qui nous auraient probablement échappé n’eût été du FFM. En cette période d’agonie, on les prendra toutes.


© 2007 Charles-Stéphane Roy