mardi 17 juillet 2007

Critique "A History of Violence"

A History of Violence
de David Cronenberg
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


L’ÉTAU DE CRIMINALITÉ


On le connaît pour ses têtes explosives, ses Mugwumps et ses revolvers en cartilages. La nouvelle créature de David Cronenberg est toutefois un virus inodore, incolore, mais particulièrement contagieux – la violence qui sommeille en nous tous. L’étrange Torontois nous a fait part de ses recherches.


Lors d’une rétrospective de son œuvre au Festival de Toronto dans les années 1980, David Cronenberg s’était fait demandé par un Atom Egoyan encore méconnu pourquoi il ne réalisait plus de films comme Stereo et Crimes of the Future, des expériences de début de carrière. Le plus adulé des cinéastes canadiens avait humblement répondu qu’il devait élargir son spectre pour espérer continuer à faire du cinéma. Ironiquement, ces deux films préparatoires sont demeurés méconnus du public, qui reconnaît plutôt dans ses films plus existentiels et percutants (Dead Ringers, Naked Lunch et Crash) la quintessence de son style. Celui qu’on méprend souvent pour un gynécologue de Beverly Hills intrigue toujours par sa capacité à s’éclipser rapidement des écueils érigés par les spécialistes et les fans – l’horreur, la science-fiction, l’adaptation d’opéra – pour mieux opérer là où bon lui semble.


SA PERFECTION, NOTRE TERREUR

A History of Violence démontre comment un propriétaire de diner en Indiana vit l’intrusion de la violence dans sa famille et son entourage après avoir sauvé ses clients d’une tuerie certaine et confronté des étrangers qui lui prête l’identité d’un ex-tueur professionnel, si bien que sa famille en vient progressivement à lui demander des comptes. Ce lent crescendo psychologique débouche sur la lucidité et l’espoir d’une co-existence entre nos pulsions et des comportements plus civilisés. Avec une fascinante cohésion, le film culbute plusieurs préconceptions sur ce cinéaste qui n’a jamais revendiqué le titre de “maître de l’horreur viscérale” tout en s’inscrivant dans sa démarche sur les mutations, l’identité et la paranoïa.


On craignait le pire, et voilà qu’on retrouve Cronenberg à son meilleur, plus physique que cérébral, soutenu par une équipe visiblement soudée et des acteurs au sommet de leur art – bref, un scintillant boulot presque épeurant de propreté, de concision et d’assurance. Ça fleure même les Oscars. Cronenberg et ses acteurs ont profité du récent Festival de Toronto pour réaffirmer leur volonté de s’affranchir des étiquettes.


« Je suis tout de même habitué à travailler à partir de matériel préexistant, comme sur Dead Zone, The Fly et M. Butterfly, rappelle celui qu’on surnommait “ Depraved Dave ” à une autre époque. Dans un cas comme l’autre, je m’approprie toute œuvre lors du tournage, alors que j’ai à décider de mille et une choses. Et quand bien même on retrouverait des symboles récurrents dans l’ensemble de mon corpus, je considère chaque film comme une entité indépendante, avec une personnalité propre, car aucune histoire ne requiert la même approche. »


be afraid. Be very afraid.

Assis à ses côtés, un clan de comédiens dégage une force silencieuse et une intense quiétude. Viggo Mortensen ébauche sans arrêt d’ésotériques conceptions sur la préparation de l’acteur, Maria Bello explique avec sourire et gratitude comment le cinéaste lui a permis de dépasser les limites de son jeu tandis que l’inquiétant Ed Harris profite de sa tribune pour péter les plombs et fracasser son verre d’eau. « Qu’est-ce que la réelle violence ? Hurler, briser des objets ?, lança Harris aux journalistes médusés après son geste d’éclat. Nous pouvons multiplier nos attitudes et comportements, mais en bout de ligne, tout revient à une question de volonté et d’honnêteté. » À sa gauche, le cinéaste le regarde silencieusement, à demi-sourire. « Ce type est supposé être fou !, déclare le réalisateur de Pollock en regardant Cronenberg. Mais il dénote une confiance inébranlable en ses moyens tout en laissant place aux suggestions de ses acteurs. Il possède une vision telle que le film serait tout autre sans sa contribution. Et A History of Violence est un film typiquement à la Cronenberg : élégant, contrôlé, implacable. »


PAS DE REPOS POUR LES ASSASSINS

En fait, Cronenberg a déjà tout décortiqué dans sa tête avant de disséquer ses personnages avec ses acteurs. «La violence fascine et rebute à la fois, et j’ai cherché à la personnaliser dans le film selon l’environnement des personnages, qui viennent de Philadelphie et entretiennent un rapport fonctionnel et détaché avec ce type de comportement, explique-t-il. J’ai donc tenu compte de cette violence peu élaborée de manière réaliste. Notre rapport à la violence est ambigu : nous avons la capacité de penser, et par le fait même, de nous imaginer des choses qui n’existent pas, telles un monde dénué de violence. Je crois qu’il est impossible d’échapper à cette violence, et le film est une méditation sur la façon de gérer ces pulsions », conclu-t-il sur un ton doux et rassurant. Souhaitons-lui d’autres digressions tout aussi sereines.


© 2007 Charles-Stéphane Roy