jeudi 5 juillet 2007

Critique "Enron : the Smartest Guys in the Room"

Enron : the Smartest Guys in the Room
de Alex Gibney
2005
Paru dans la revue Séquences


Scandale éhonté qui entacha la crédibilité du monde de la haute finance, la déroute du méga-fournisseur énergétique Enron mit en cause un système qui n’avait déjà plus grand-chose à voir avec l’offre et la demande. L’entreprise démarrée par Ken Lay, a repoussé les limites de la rhétorique spéculative, allant jusqu’à vendre à fort prix les estimations de revenus potentiels… cinquante ans à l’avance !


En s’adjoignant Jeff Skelling, un kamikaze au charme et à la verve redoutablement réconfortantes, Lay et ses actionnaires y sont allés de leurs tactiques les plus déloyales pour tester les lois du marché : les licenciements mensuels après évaluation de leur personnel, l’achat-rachat de compagnies bidons, l’inflation des taux énergétiques en créant artificiellement une raréfaction des ressources et l’utilisation abusive de prête-noms auraient donné la chair de poule même au Gordon Gekko du film Wall Street, dont le credo était « Greed is good ».


Bethany McLean et Peter Elkind de la revue Fortune furent les premiers à douter des revenus approximativement déclarés par Enron, dont le slogan était ironiquement « Ask Why », et leur ouvrage collectif « The Smartest Guys in the Room » a inspiré le scénariste de The Trials of Henry Kissinger à porter l’enquête au grand écran. Relayant en mode Michael Moore le documentaire The Corporation, cette dissertation fluide mais scolaire démonte méthodiquement la mécanique du profit et l’aboutissement du fulgurant dérèglement boursier amorcé au début des années 1980.


Dommage que le cinéaste s’en soit tenu paresseusement à l’analyse de McLean et Elkind en s’appuyant sur une ponctuation éprouvée (pourquoi ensevelir inutilement la bande-son de tant de chansons populaires ?) et une narration trop frileuse. Dans ce cas, un livre-cassette aurait parfaitement fait l’affaire. Et si Enron était convaincu de vouloir notre bien et qu’il ait pu l’obtenir, l’Amérique corporatiste pourra dormir en paix : les boucs émissaires sont pincés et l’attention publique s’est déplacée en Irak. La voie est libre, mais pour combien de temps, et à quel prix ?


© 2007 Charles-Stéphane Roy