jeudi 5 juillet 2007

Critique "Aurore"

Aurore
de Luc Dionne
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA PETITE MAUDITE


Le destin d’Aurore Gagnon aura été tour à tour damné, iconographié et aujourd’hui sanctifié – la version païenne de Luc Dionne prêche un nouveau catéchisme, selon lequel la fillette serait morte non pas pour, mais bien par nos péchés.


Le calvaire d’Aurore Gagnon, l’enfant martyre de Fortierville, reste le fait divers québécois le plus tenace et le plus mythique du 20e siècle, coiffant même les sévices de Moïse Thériault, Jean-Guy Tremblay ou du caporal Lortie, plus récents et spectaculaires. Comment la mort prématurée d’une fillette de 10 ans a-t-elle pu imprégner l’imaginaire collectif à ce point depuis 1920 ?


Il faut croire que les cinq mille reprises entre 1921 (un an à peine après la condamnation des parents !) et 1951 de la pièce de théâtre signée Petitjean et Rollin, puis la maquette de l’adaptation populaire d’Émile Asselin au cinéma réalisée par Jean-Yves Bigras l’année suivante (devenu l’un de nos plus valeureux «7» dans le télé-horaire), auront assuré une postérité à la tragédie. Le scénariste Luc Dionne, spécialisé dans les coulisses d’univers très codifiés (la pègre d’Omertà, la politique de Bunker le cirque) poursuit la validation du mythe en se référant au roman de André Mathieu comme aux rapports judiciaires d’époque pour peser les implications du silence des 300 habitants du village où s’est déroulé le drame, du clergé aux hommes de loi, des voisins aux persifleux du magasin général.


En fait, l’entreprise nous renvoie aux rôles et personnalités du ménage entre Télésphore Gagnon et sa belle-cousine Marie-Anne Houde tout comme aux mœurs très « chacun chez soi et les cochons seront bien gardés » de l’époque. Mais pendant que le curé s’éclate, on demeure perplexe tandis qu’un doute plane sur la pertinence de cette nouvelle dramatisation, au-delà du triste fait que les abus parentaux transcendent les modes. Peut-être qu’une actualisation aurait mieux servi le message contre le châtiment corporel et la maltraitance infantile que cette grand-messe croulant sous les reliques (une colombe, une ritournelle innocente), les fade-out allergiques aux climax et les dialogues qui tombent toujours un peu plus sous le sens. Faut croire que le mythe du « coté 7 » est tout aussi tenace.


© 2007 Charles-Stéphane Roy