mardi 17 juillet 2007

Critique "Bee Season"

Bee Season
de Scott McGehee et David Siegel
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA CONSONANCE DES VOYELLES

Binoche et Gere sont des fétichistes de la langue qui ne se parlent plus dans Bee Season, un Dico illustré aussi austère qu’édifiant.


Si une minorité de jeunes écoliers peuvent compter sur l’appui inconditionnel de leurs parents derrière leurs activités parascolaires, peu s’intéressent à la définition de mots comme « cotylédon », et encore moins savent les épeler correctement. C’est pourtant le cas d’Eliza Naumann, la fillette d’un prof en études religieuses et d’une biologiste, depuis qu’elle enchaîne les compétitions d’épellation.


Et pourtant, quelque chose est en train de se désintégrer dans cette petite famille unie plantée dans la banlieue d’Oakland alors que le fils aîné cache sa participation à des rituels Krishna et que sa mère entrepose des milliers objets dérobés dans des logements remarqués au hasard. Chef de famille autoritaire et omniprésent, le père se met à consacrer tout ses temps libres à l’éclosion du talent qu’a sa fille à mémoriser les termes compliqués, convaincu que les secrets de l’univers contenus dans les mots peuvent être explorés par une déconstruction mantrique de l’alphabet.
Bien des gens s’amusent à répéter un mot jusqu’à lui donner de nouvelles résonances ; le film soutient qu’il en serait peut-être de même avec la vie de groupe, et qu’à force de côtoyer les mêmes personnes, leur importance viendrait à prendre des sens insoupçonnés.


On connaissait l’intérêt du tandem Scott McGehee / David Siegel pour les dérives familiales (The Deep End) et la perte de repères face à autrui (Business of Strangers) ; Bee Season combine ces pivots dramatiques dans son observation de la rationalité et du contrôle en situation d’abandon. De manière surréaliste, le film s’ouvre sur une immense lettre A balancée au bout d’un hélicoptère au-dessus de la baie de San Francisco ; peu de temps après, Eliza visualise ses mots par des motifs kaléidoscopiques qui prennent vie à l’écran. À tant montrer l’invisible, la scénariste Naomi Foner, mère de Maggie et Jake Gyllenhaal, aura retenu du roman de Myla Goldberg une forme de voyeurisme spirituel plutôt que la limpidité des sentiments derrière les croyances. Ce qui, comme spectateur, amène à la question suivante : à quoi sert la foi lorsqu’on voit tout ?


© 2007 Charles-Stéphane Roy