jeudi 5 juillet 2007

Critique "Nobody Knows"

Nobody Knows
de
Hirokazu Kore-eda
2005

Paru dans la revue Séquences


Documentariste de formation, Hirokazu Kore-eda a tiré d’une histoire vécue par un groupe d’enfants abandonnés en 1988 à Tokyo ce magnifique Nobody Knows, prolongement naturel de son cinéma social très personnel après s’être penché en 2002 sur les sectes dans Distance. Heureusement, le cinéaste s’est gardé de tomber dans le mélo et la critique parentale, objets de prédilection des médias, en s’appliquant à montrer entre jeux et survie le quotidien de ces enfants, qui, s’ils doivent vivre reclus suite à la consigne maternelle, s’autorisent un peu d’espoir et surtout une grande tendresse.


Le réalisme de l’entreprise n’est pas un leurre : le cinéaste a d’abord modelé ses personnages sur la personnalité de ses tout jeunes interprètes, puis a réduit au minimum les lectures de groupe et les répétitions. Au centre du récit s’élève Yagira Yuya, leader naturel de la bande, qui n’avait pu cette année récupérer sur la Croisette son Prix d'interprétation masculine – à 14 ans, voilà le plus jeune comédien jamais récompensé en Compétition cannoise.


Quoi qu’il en soit, l’évolution commune en est donc une réelle, les relations se développant en cours de tournage. Et cela marque toute une différence : rarement voit-on un film respirer autant, porté par sa caméra respectueuse et son cadrage sensible. Le fil des émotions, qu’il soit souple ou raide, révèle discrètement quelques regards volés et une ambiance où tout semble réellement permis.


L’onde dramatique se fait alors ressentir longtemps après la projection tellement Kore-eda enveloppe la cruauté de son récit d’une soyeuse délicatesse, d’un effacement digne de cet éloge à une enfance pourtant souillée d’indifférence et d’isolement. Voilà un très, très grand film. Dans la foulée, pris entre choc et charme, nous ne pouvons que souhaiter un meilleur sort aux autres clandestins juvéniles japonais, qu’on estime à plusieurs milliers (déclarés) dans la seule capitale nippone...


© 2007 Charles-Stéphane Roy