de Werner Herzog
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
BEAR WISH PROJECT
Surprise : Grizzly Man s’insère parfaitement dans le cursus Herzog et subverti au passage un genre qu’on croyait voué au contemplatif.
Attention : le documentaire de Werner Herzog n’a rien à voir avec le film animalier conventionnel. Délaissant momentanément la veine mystique du fabuleux Wheel of Time, l’inquiétant Allemand renoue avec le portrait d’allumés en quête d’absolu qu’il s’est approprié avec la récente escapade en mini-zeppelin du Docteur Dorrington (White Diamond) et l’ascension du sommet d’El Toro (Cerro Torre).
Rien à voir avec les oiseaux et les abeilles, donc : selon Herzog, l’univers ne tiendrait pas grâce à l’harmonie, mais bien par une balance d’hostilité, de chaos et de meurtre. Pas étonnant que le cinéaste se soit pris d’admiration pour le destin de Timothy Treadwell, un écologiste hors-norme qui périt avec sa conjointe sous les griffes des ours qu’il protégeait depuis une quinzaine d’années. Le Parc national Katmai en Alaska était devenue sa seconde maison et plus il se prenait d’amitié avec les bêtes, plus les humains, surtout ceux du Gouvernement américain et autres braconniers, le répugnait. Jusque là, le portrait tient surtout du National Geographic.
Mais il n’en sera rien. Le fait que Treadwell ait passé une centaine d’heures à filmer ses expéditions et sa solitude donne de l’intime à l’affaire, et rapidement, le portrait baba-éco-cool verse dans l’ambigu et le malaise. On apprend que Treadwell, natif de Long Island, a adopté ce nom dans l’espoir de se faire passer pour un outbacker australien après avoir été tour à tour garçon de table, alcoolique déclaré et acteur médiocre – sa vie aurait pris un mauvais tournant après être arrivé second derrière Woody Harrelson pour l’obtention du rôle du barman dans Cheers.
Après avoir découvert les grizzlis, Treadwell s’est fait à la fois ennemi des environnementalistes, qui lui ont reproché sa trop grande proximité avec les bêtes, et les chasseurs, pour qui Treadwell est un obstacle à la pratique d’un sport fort lucratif. Mais surtout, le cinéaste a vu en Treadwell le fou ultime, complètement consumé par sa passion (chaque ours avait son nom), convaincu de sa supériorité sur ses pairs et assez inconscient pour vivre auprès de carnivores cinq fois plus gros que lui. Hallucinant.
© 2007 Charles-Stéphane Roy