mardi 17 juillet 2007

Critique "The World"

The World
de Jia Zhang-ke
2005
Paru dans la revue Séquences


Dernier chapitre d’une trilogie sur les dérives de la jeunesse chinoise s’initiant à la mondialisation, The World est à la fois le prolongement et l’aboutissement de la manière de Jia Zhang-ke (Platform, Unknown Pleasures). Chapeauté pour la première fois par les autorités chinoises, le cinéaste a pu ici enrober d’effets spéciaux, de costumes exubérants et d’animations branchées son regard bien personnel sur le quotidien d’employés d’un parc thématique où sont reproduites à moindre échelle des canons touristiques internationaux comme la Tour Eiffel et le Taj Mahal.


Zhang-ke nous guide dans ce village de toc en baladant sa caméra numérique entre le faste des représentations et le dépouillement des rencontres entre ses guides, ses danseuses et ses gardiens de sécurités, tous issus de communautés rurales. Au centre de ces pérégrinations intra-murales, un couple mal assorti aide chacun de leur côté une artiste russe et une designer à retrouver certains membres de leurs familles retenus à l’extérieur. À vivre ainsi dans une carte postale vivante, les travailleurs peinent à s’acclimater à la monotonie de leurs tâches et à l’appel omniprésent d’un ailleurs trop onéreux. Les contacts avec leurs collègues demeurent expéditifs et déréglés, comme si les automates d’un jeu grandeur nature devenaient soudainement doués de sentiments et d’autonomie.


Pour aborder les révolutions capitalistes ou technologiques à Beijing, la méthode de Zhang-ke renvoie une image documentaire d’un microcosme passablement surréaliste, celui du prêt-à-visiter, et prend tout son sens lorsqu’il oppose à l’impression de surstimulation, d’instantanéité et de proximité que tente de vendre l’occidentalisation du régime communiste un ennui, une lenteur et un repli sur soi bien réels. Jia Zhang-ke sait visiblement spatialiser le vide émotionnel de ses personnages, mais The World verse tant dans l’excès de retenue qu’il ne parvient que trop rarement à concrétiser ses ambitions sociologiques ou à procurer une réelle présence à des personnages passablement brouillons et rapidement prévisibles, si bien que la dernière heure apparaît comme une virée en montagnes russes sans courbe ni chute.


© 2007 Charles-Stéphane Roy