mardi 17 juillet 2007

Critique "Haute tension"

Haute tension
de Alexandre Aja
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


UNE CURE CINÉANTHROPOPHAGIQUE

Haute tension, c’est la battue vermillon de Cécile de France dans un pays dont on a retiré les panneaux et les accents pour que les acheteurs internationaux s’y sentent presque chez eux. Carnage nouveau genre.


Au cinéma, selon l’adage, les Européens touchent au sexe, les États-uniens nettoient par le sang. Il y a bien peu de différences entre les deux dans le second long métrage d’Alexandre Aja, rejeton d’Alexandre Arcady avant de se faire un (autre) nom. L’héroïne a les cheveux courts et bûche comme une bête. Le tueur fait serpenter sensuellement sa lame de rasoir contre les jugulaires de ses victimes. Et, comme le veut la tradition, les murs se rougissent d’éclaboussures de sang – en changeant la couleur, on croirait à des douches dorées. Aja n’a que 27 ans et son amour du gore lui a déjà très bien enseigné qu’une hache, de la bouse et des filles qui hurlent, c’est foutrement érotique. Et que les films d’horreur d’aujourd’hui ne savent plus comment malmener les pulsions du spectateur.


Le récent Calvaire du Belge Fabrice du Welz avait remis les pendules de l’épouvante à l’heure zéro, évoquant l’époque où s’alignaient d’infâmes titres scabreux dans une poignée de cinémas de seconde zone. Haute tension plagie quant à lui avec la bénédiction du Maître les plus belles pièces de la petite boucherie des horreurs – les Maniac, Texas Chainsaw Massacre et surtout Last House on the Left, l’un des premiers Wes Craven, qui a incidemment recruté Aja pour réaliser le remake de son Hills Have Eyes. C’est que l’élève Aja s’est si bien approprié le langage du genre, son absence de mots comme ses dérapages logiques, qu’il a même érigé en règle les erreurs et l’amateurisme de ses frères d’arme Hopper, Cunningham et Carpenter durant leurs années formatrices. Ainsi, les fautes de raccords et d’éclairage, la bande-son à fleur de peau et les raccourcis dramatiques dûs au manque d’argent ou de main d’œuvre qualifiée ont vraisemblablement fait école et sont devenus les standards chez leurs disciples. Pendant que les Américains cannibalisent à plein gaz leurs classiques de série B en diluant tout, les Français vont directement à l’essence du genre et s’appliquent à le purifier davantage.


GUIDE DE SURVIE

Enjambons d’emblée l’histoire de Haute tension, rachitique et dérisoire : une étudiante passe une nuit à traquer le kidnappeur de sa meilleure amie après qu’il ait cruellement assassiné toute sa famille dans leur maison reculée. En d’autres termes, ça veut dire qu’on y parle un minimum car les personnages en ont plein les bras à décapiter du campagnard. Et on vous le donne en mille : ne reste plus à la fin qu’une fille, mais une qui sait retourner les coups grâce, on le devine, à une quelconque formation parascolaire en survie rurale passée à s’initier aux rudiments du déverrouillage de portières sans clés, du biathlon forestier (course à pied, puis scie circulaire) et du tissage de barbelés. Première de classe, cette Marie pleine d’une grâce sauvage était donc toute indiquée pour incarner la Némésis du maniaque, son double inversement moral.


Et l’actrice Cécile de France parvient dès la première scène à prendre en otage notre regard avec ce personnage racé et jamais à court d’invraisemblances. Difficile d’imaginer une autre actrice que la Belge dans ce rôle provoquant et carnassier tant elle boite, beugle et se démène à la perfection. Avec moins d’éclat mais tout autant de conviction, la jeune Maïwenn, sœur aînée d’Isild Le Besco et chanteuse occasionnelle, a eu l’occasion de vider tout ce qu’elle a de poumons dès qu’on lui enlève le bâillon poisseux entre ses dents. À leurs trousses, il ne fait pas bon retrouver l’inquiétante silhouette et le timbre d’outre-tombe de Philippe Nahon, qui s’est frotté aux plus obsessifs des cinéastes français, de Jean-Pierre Melville à Gaspar Noé. La casquette vissée au crâne, son tueur avance d’un pas si assuré qu’on renifle son sadisme même en hors champ – le panthéon des croque-mitaines devrait récupérer sa salopette souillée de graisse automobile d’ici peu.


UNE FIN SORDIDE

Sinon, on comptabilisera près de 75 minutes consécutives de cache-cache entre le garagiste fou et ses proies, d’intenses altercations entre silences et syncopes, et surtout le brouillard de bruits trafiqués mixé par François Eudes, si envahissant qu’il rendrait fou un sourd. Réduit à son plus simple appareil et au minimum d’accessoires, Haute tension a tout de suite plu au distributeur Lions Gate, qui a convaincu Aja de refilmer quelques scènes, doubler certains dialogues et américaniser une partie de l’histoire sans que le public nord-américain ne puisse s’en formaliser, ou même s’en apercevoir. Fin sordide mais cohérente pour ce remake mutant de la relecture académique d’un genre (le slasher) déjà perfide.


© 2007 Charles-Stéphane Roy