jeudi 5 juillet 2007

Critique "Happy Endings"

Happy Endings
de Don Roos
2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA FAIM DES MOYENS

Regarder en 2005 des trucs comme Happy Endings, c’est constater à quel point les récentes branches alternatives des grands studios ne carburent plus au cyanure, mais bien aux féculents.


Faire converger toutes les initiatives de cinéma grinçant états-unien sous la stricte bannière indie appelle à la prudence. La récupération des ensembles polyptiques et des malheurs banlieusards a rendus quasi indiscernables la marge et le centre, si bien qu’avec le recul, on ne sait plus si des manifestes involontaires comme Short Cuts ou Sex, Lies & Videotapes ont causé plus de torts que de bien à ce qui reste de cinéma d’auteur sous notre frontière.


L’exception devient règle, les rebelles créent des empires, la machine à vagues se noie et on étire les creux : la consolidation de Miramax nuit désormais à l’émergence de nouvelles innovations de cinéma US telles qu’initiées par Jonathan Caouette ou Jem Cohen, car voir une famille s’engueuler, montrer du sexe entre adultes et ados consentants ou bourlinguer à tout vent du folk tristounet en vue de boucler une compilation destinée aux radios collégiales, ça excite surtout des producteurs déjà équipés de parkas en prévision de Sundance.


Le troisième long métrage de Don Roos (The Opposite of Sex) appartient de plain pied au genre de films mitoyens qui croient, qui cherchent et qui n’arrivent plus à ressembler aux films emblématiques d’une époque pas si lointaine, mais néanmoins révolue – du karaoké d’images, somme toute. Ça fait semblant, ça sonne terriblement faux et ça n’arrive qu’à tourner tout au plus en ridicule l’œuvre originale, qui s’appelle clairement ici Magnolia. Voici donc sa version Sélection Mérite, avec ses drames en styro-mousse et son ironie de quincaillerie (à commencer par le titre).


Une femme à la course se fait violemment happer par une voiture en levée de rideau, mais au même moment, un mémo en split screen nous informe que le personnage qu’on croit tout juste mort survivra, et que, de toute façon, les personnages de films n’existent pas pour vrai. Comme des pop-up narratifs, ces digressions purement stylistiques s’immiscent à l’écran dès qu’un drame s’esquisse ou que quelqu’un croit avoir atteint sa zone de confort.


Par des quiproquos et des mensonges, les personnages en arrivent à se rencontrer et passer à travers nombre de turbulences émotionnelles – dans ce département, Roos ne se fait pas chiche : pêle-mêle, il nous balance un ado gâté dont le père redoute son homosexualité, un gai découvrant sa filiation avec le bambin de son couple d’amies lesbiennes, une mère soumise au chantage d’un pseudo documentariste qui impose le tournage de la recherche de son fils qu’elle a abandonnée depuis une quinzaine d’années en échange de sa réelle identité, un masseur chicano illégal et une chanteuse débraillée flirtant avec un quinquagénaire pour empocher sa fortune. Ça se bouscule, ça fait sa petite crise et ça recommence en invertissant les rôles. 130 minutes plus tard, on en vient presque à réhabiliter les derniers Neil LaBute et P.T. Anderson – tant qu’à aimer un genre traînant de la patte, mieux vaut se contenter des originaux, même s’ils se sont essoufflés.


© 2007 Charles-Stéphane Roy