jeudi 5 juillet 2007

Critique "Le roman d'un tricheur"

Le roman d'un tricheur
de Sacha Guitry (1936)
2005
Paru dans le cadre du 50e anniversaire
de fondation de la revue Séquences


Voilà exactement la matrice du film que j’aime, que j’estime et que j’honore de temps à autres de quelques visionnements : les scènes sont éparpillées mais concises, la mise en scène rigide mais posée, les dialogues littéraires se déclinent en autant de perles que de bombes, et par-dessus tout la narration et l’interprétation de Guitry restent d’une coquetterie assumée et hilarante.


Au milieu des années 1930, Guitry, ami personnel de Georges Feydeau, jouit déjà d’une renommée et d’une expérience considérable dans un genre que la critique dénigre et que le public adore : la comédie de boulevard malicieuse, le vaudeville mesquin, qu’il crée sous forme de long monologue explicatif. Les mémoires d’un tricheur (1934) est l’un de ses textes les plus connus et l’adaptation qu’il en a fait pour le cinéma sert de pont entre le passé et le futur du cinéma français : en plein réalisme poétique, Guitry s’attarde plutôt aux effets spéciaux à la Méliès et surtout aux expérimentations narratives en oppositions autour d’un récit tournant en dérision la morale, l’argent, le genre picaresque, et par-dessus tout, le théâtre filmé.


Dès le générique collégial où sont présentés en travelling toute l’équipe technique, Guitry dirige le spectateur de sa voix unique en lui racontant l’histoire qui se déroule sous ses yeux, histoire qu’il commente, contredit ou double lui-même les répliques à l’occasion. Hormis quelques faux dialogues durant lesquels Guitry expose et son interlocuteur dispose, le dramaturge a peut-être inventé à son insu le playback, alors que la bande son est enregistrée avant le tournage. Il s’avère être ainsi un cinéaste audacieux et cabotin, mi-Orson Welles, mi-Fernandel.


Réhabilité beaucoup plus tard par François Truffaut et Alain Resnais, Le roman d’un tricheur demeure la pierre angulaire de la filmographie de Guitry (36 films) et l’un des coups de maître du cinéma d’avant-guerre.


TOP 10

1. O Lucky Man ! de Lindsay Anderson (Grande-Bretagne, 1973)

2. Cool Hand Luke de Stuart Rosenberg (États-Unis, 1967)

3. Women in Love de Ken Russell (Grande-Bretagne, 1969)

4. Le monde vivant de Eugene Green (France, 2003)

5. Aguirre, der Zorn Gottes de Werner Herzog (Allemagne, 1972)

6. The Rebirth de Masahiro Kobayahi (Japon, 2007)

7. Yes sir! Madame... de Robert Morin (Québec, 1994)

8. Don’t Look Now de Nicolas Roeg (Grande-Bretagne / Italie, 1973)

9. Japón de Carlos Reygadas (Mexique, 2001)

10. Gerry de Gus van Sant (États-Unis, 2002)


© 2007 Charles-Stéphane Roy