de Tim Burton et Mike Johnson
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
QUI PREND MARI PREND VIE
Corpse Bride, ou comment retrouver son cœur d’enfant en 76 minutes. Rencontre avec un visionnaire sur le retour.
À la fabrique Burton, on imagine les employés enjoués comme les chocolatiers Oompa Loompiens, œuvrant le cœur léger et sifflotant sur l’un des trente plateaux nécessaires aux pirouettes artisanales sur le troisième film d’animation portant l’imprimatur du cinéaste californien. Rien à voir avec les légions d’animateurs engagées par Pixar ou Dreamworks, rapidement vautrés dans de vaines excentricités portées sur les clins d’œil à la culture de masse et les chansonnettes infantilisantes. Le contraste frappe d’autant plus dans ce Corpse Bride déchiré entre le monde terne fréquenté par l’aristocratie et celui des défunts, carnavalesque et accueillant. « Les Mexicains ont une relation avec la mort plus festive que la nôtre, c’est pourquoi la séquence du foxtrot d’outre-tombe parait plus joyeuse et animée que les rassemblements du côté des vivants, remarque Burton, rencontré en chair et en os au Festival de Toronto. Nous vivons constamment dans plusieurs types de répression, dont l’ultime est la peur de mourir. C’est pourquoi j’imagine qu’une fois de l’autre côté, ces contraintes n’existent plus et que ça doit être beaucoup plus plaisant! »
Encore mieux que James and the Giant Peach et The Nightmare Before Christmas, Corpse Bride synthétise tout ce que Burton a ingurgité de films fantastiques, de contes d’horreur, de comédies musicales et de drames d’apprentissage en parvenant à s’extirper de ses récents embourbements du côté des remakes. Dans les mésaventures du jeune fiancé égaré tenu de partager son cœur avec une morte au cœur brisé jusqu’à ce que la vie les sépare, on croise même le fantôme des essais les plus personnels du cinéaste, tels Edward Scissorhands et surtout le mal-aimé Beetlejuice, pierre angulaire de ses éblouissements à suivre. Oh bonheur, revoilà le Burton qu’on aurait aimé ne jamais quitter.
LOIN DES ORBITES, PRÈS DU COEUR
« Nous devions avoir un karma exceptionnel, car après avoir effectué nos premiers croquis en 1993, il s’avéra que les personnages de Victor et de Victoria ressemblaient déjà à Johnny et Emily sans que nous sachions qui allaient assurer les voix, confie Burton. Leurs personnalités étaient déjà modelées en quelque sorte, et les acteurs ont pu préparer leurs performances par la suite avec les modèles sous les yeux, ce qui a facilité leur compréhension des personnages. » Helena Bonham-Carter, la voix de la mariée cadavérique, abonde dans le même sens : « J’adore personnifier une marionnette… je n’ai pas à penser à ce que je ressemblerai à l’écran, ce qui m’a soulagé, car j’étais enceinte durant les enregistrements. En fait, les marionnettes ont une densité exceptionnelle, car les animateurs peuvent personnaliser à outrance leur jeu dramatique, l’expression de leurs visages, leur dextérité. »
Il faut avouer que la performance de Mme Burton ferait lever de terre n’importe quel inconscient. Pas étonnant lorsqu’elle nous apprend son engouement pour les dramatiques radiophoniques états-uniennes, qui connaissent actuellement une popularité enviable auprès des poids lourds people grâce à la série “Theatre Of The New Ear” dont participent les frères Coen, Charlie Kaufman et Meryl Streep. « Mais l’animation reste une curieuse expérience pour un acteur, car nous n’enregistrons pas nos voix au même moment en studio, renchérit Johnny Depp. Je n’ai pas croisé Emily Watson une seule fois, ni Albert Finney ou Christopher Lee, avec qui j’aurais volontiers voulu partager le micro », soupire-t-elle.
ANIMATION DE FOND
Quand bien même sa technique image par image – capté par un appareil photo numérique plutôt que sur la pellicule d’une caméra, une première – n’afficherait pas la même virtuosité que le 3D et que son histoire relèverait d’un folklore sur lequel plus personne ne se berce, la seconde offrande de Burton en trois mois vaut tout son pesant d’or et même quelques pépites de plus. « J’ai mis la main à la pâte à ce projet lorsque j’ai eu le temps entre mes autres productions, mais je reconnais que Mike a assuré toute la permanence. Même si le résultat paraît plus élaboré que ce les gens voient habituellement en animation, il fait savoir que mes films coûtent environ le tiers d’une production comme Shrek », précise Burton, qui multiplie les clins d’œil à l’œuvre de Ray Harryhausen, dont le talent continue à le sidérer. « Je suis l’un de ses plus grands fans, et il nous a fait l’honneur de passer aux studios voir nos maquettes durant le tournage. Sa technique et ses matériaux étaient éphémères, et il est triste que qu’il ne reste plus rien aujourd’hui de ses plus belles réussies », constate l’un de ses plus brillants successeurs. Pourra-t-il maintenant transposer dans le monde des (acteurs) vivants l’énergie créatrice qui caractérise ses meilleures animations ?
© 2007 Charles-Stéphane Roy