mardi 17 juillet 2007

Critique "Elizabethtown"

Elizabethtown
de Cameron Crowe
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


Le son fortuné

Crowe nous sert un comfort film gagnant et prouve en chansons que la nostalgie n’est pas que l’apanage des baby-boomers. Kirsten Dunst et le cinéaste nous l’ont rappelé lors du récent Festival de Toronto.


En six films, Cameron Crowe a saisi l’esprit du temps pour tous ceux qui ont flirté avec le grunge avant d’embrasser une carrière sous régime Windows. Dès Singles (1992), les personnages de l’ex-rédacteur en chef du magazine Rolling Stone harmonisaient joies et peines au rythme de leur iPod intérieur – à chaque expérience suffit son refrain, sifflote encore aujourd’hui Crowe, l’Oscar du meilleur scénario d’Almost Famous dans la poche de sa chemise à carreaux. Elizabethtown n’échappe pas à la fréquence en nous rappelant sans trop d’efforts que nous sommes tous Américains et que la vie est un grand CHOM-FM tranquille.


Nouvelle ritournelle sur le retour d’un enfant prodigue, Elizabethtown s’ouvre sur la détresse d’un designer d’espadrilles à la veille de faire perdre un milliard de dollars à sa compagnie. Pire encore, son père qu’il n’a plus vu depuis le dernier championnat des Bulls vient de rendre l’âme. Sa mère le somme de ramener la dépouille du Kentucky en Oregon mais pour cela, il doit braver la famille retorse du défunt. Pour casser du péquenot, notre golden boy au teint de feu pourra compter sur l’humour d’une hôtesse de l’air au jovialisme débordant. Orlando Bloom en prend pour son rhume aux côtés de la tornade Kirsten Dunst, assez lumineuse et cabotine pour mettre en veilleuse son partenaire plus limité. Rencontrée à Toronto en compagnie de Cameron Crowe, on saisit sans trop de mal la chimie qui l’a lié au cinéaste durant la production du film.


« Les dialogues de Cameron sont limpides et rythmiques, je leur reconnais immédiatement une mélodie propre, qui est la marque d’un écrivain fonctionnant à l’oreille, comme un musicien », énonce Dunst. Il faut dire que Crowe pense 24 images en 45 tours : « J’ai sélectionné une vingtaine de chansons populaires pour la plupart des scènes afin d’indiquer aux acteurs la manière dont leur personnage ressentait les situations », explique le cinéaste. « Je fonctionne de cette façon depuis Jerry Maguire en espérant que les chansons occupent tout l’espace mental de mes acteurs avant d’embarquer sur le plateau, surtout lorsque ceux-ci sont aussi fanatiques de musique que moi. »


Si la famille prend autant de place chez Crowe, c’est pour mieux relancer des personnages déçus par une quête individuelle sans lendemains. Du chaos naît la véritable inspiration, et à ce titre, les parents veillent à ce que de chaos il ne manque pas. « Les échecs sont selon moi à la source des histoires les plus émouvantes, car seuls les vrais héros trouvent le moyen de transcender leur désenchantement », reconnaît Crowe, secondée par Dunst : « Je sais que Cameron est un grand fan de Billy Wilder; c’est pourquoi j’ai rendu hommage à The Apartment de subtile manière dans une scène, puis à la fin du tournage, je lui ai dit que ça lui était destiné, parce que j’aime comme lui passer du rire aux larmes ». Ce qui a dû plaire au cinéaste, qui privilégie les moments d’honnêteté brutale, lorsque ses personnages affrontent leurs peurs et s’aperçoivent de l’essentiel. C’est à ce moment que tout le monde respire d’aise, même sur un air mille fois fredonné auparavant.


© 2007 Charles-Stéphane Roy