mardi 17 juillet 2007

Critique "Capote"

Capote
de Bennett Miller
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LE SUJET ET SON DOUBLE

Capote prouve qu’un réalisateur débutant et un comédien d’expérience peuvent honorer un richissime scénario. Philip Seymour Hoffman était à Toronto en compagnie du cinéaste Bennett Miller.


« Sans mon intervention, le monde se rappellerait de vous comme étant un monstre », explique Truman Capote à Perry Smith, l’un des 2 accusés du meurtre d’une famille du Kansas quelques temps avant son exécution, et le personnage central d’In Cold Blood, le roman qui fit de Capote, auteur mondain new yorkais, l’un des écrivains les plus importants du 20e siècle.


On pourrait dire exactement la même chose de Capote, le premier long métrage de fiction de Bennett Miller, à propos de son sujet : jusqu’à la fin de ses jours, Capote traîna la réputation d’un génie ivrogne, caractériel et manipulateur aux yeux du public et de ses lecteurs. En convergeant de stupéfiante façon la manière dont Capote traita ce fait divers et les raisons pour lesquelles le récit qu’il en tira vint provoquer des dommages moraux irréversibles chez l’auteur, Miller réhabilite en quelque sorte l’image publique de l’homme via les coulisses de sa chute.


Capote s’isole entre 1959 à 1965, période durant laquelle l’auteur de Breakfast at Tiffany’s se consacra à la minutieuse documentation du crime, du procès et de l’exécution d’un tandem de voleurs à la tire reconnus coupable du meurtre prémédité d’un foyer d’agriculteurs du Midwest. Ce qui se destinait à alimenter un simple article de fond se transforma en obsession professionnelle et émotive chez Capote, qui entend dans les témoignages de Perry, l’un des deux détenus, l’écho des malheurs de sa propre enfance : le diable en personne vient de lui vendre son âme, ou du moins l’exclusivité de sa biographie.


Pour s’y prendre, l’auteur ne reculera devant aucune manœuvre : pots de vin au directeur de la prison afin de jouir d’un accès illimité à ses sujets, contrôle de l’information face à son éditeur, affection intéressée envers Perry… En défrichant le “roman de non-fiction”, l’homme rejoint les grands, et en est parfaitement conscient. « Lorsque je me mets à penser à quel point mon livre sera bon, j’éprouve de la difficulté à respirer… » : lâchée à tout vent, cette affirmation estampillée Capote aurait sans doute suggérée un excès de pédanterie, mais livrée au milieu du film de Miller, elle vient exprimer la vaniteuse fatalité qui empoisonnait l’existence de l’écrivain.


« Il m’était curieusement plus facile de jouer Capote que de parler de lui, avance Hoffman. Son enfance l’a marquée au point de ne jamais sentir assez d’amour, d’admiration ou de respect à son égard. Perry Smith représentait tout cela à ses yeux, et même trop à supporter. Il aurait échangé toute sa fortune contre une accolade. » Comment alors déterrer l’intime sous la personnalité publique ? « Le mimer ne m’intéressait pas : j’étais plutôt à la recherche de son guts. Nous avons adopté l’approche journalistique de Capote pour tracer son portrait, pas la caricature flamboyante qu’il traînait au Tonight Show à la fin de sa vie. J’ai découvert de nettes différences entre le Capote public et le Capote privé, et nous avons exposé ce contraste dans le film », estime l’acteur.


Comme le Good Night, & Good Luck. de George Clooney, Capote réinvente le biopic en favorisant l’épisode à l’odyssée. « Capote savait que ce livre représentait le début de la fin de sa contribution à la littérature, puis comme individu, en s’engloutissant dans l’alcool, intervient Miller. Il disait lui-même que ceux qui obtiennent tout de la vie n’avaient d’autre choix que de finir misérables. Il avait basculé de l’autre côté de son ambition, et, comme le personnage de Catherine Keener explique, de son histoire d’amour avec son ego. » La boucle est désormais bouclée : protagoniste volontairement retiré de son propre roman, voilà Capote réinséré dans les événements qu’il a couvert et forcément influencé ; grâce au chaînon manquant de Miller, le livre et son adaptation cinéma-vérité réalisée par Richard Brooks en 1967 gagnent du coup en puissance.


© 2007 Charles-Stéphane Roy