mardi 17 juillet 2007

Critique "Horloge biologique"

Horloge biologique
de Ricardo Trogi
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA DERNIÈRE JAVA DES GARS ACCOTÉS

Ricardo et compagnie ont fait recette mais parlent toujours pitounes et bidous en québécois dans le texte. Leur Horloge biologique tangue, mais ne renverse pas.


Depuis la sortie de son premier long métrage Québec-Montréal, Ricardo Trogi est passé plusieurs fois à la banque, encaissant un char de prix (quatre aux Jutra, trois au festival de Namur) et une bourse d’écriture de Radio-Canada, qui a bénéficié par après du succès de sa réalisation à la barre de la série « Smash » (5 x 1 million de spectateurs). Les déboires sur l’autoroute 20 de plusieurs jeunes professionnels au tournant de leur vie de couple a coup sur coup interpellé le grand public et précipité la reconnaissance de l’industrie. Bancal au possible, Québec-Montréal cristallisait l’aboutissement de la démarche du power trio dans le court métrage, format et milieu dans lesquels Trogi/Pearson/Robitaille exercèrent un ascendant à la fin des années 1990, culminant avec la présentation de « Second Chance » à la Semaine de la critique du Festival de Cannes. Mais le ton, l’humour et les situations de Trogi et ses co-scénaristes Jean-Philippe Pearson et Patrice Robitaille témoignèrent surtout d’une authenticité qui peinait à atteindre les grands écrans, même si ça n’avait ni le standing de Séraphin, qu’il a éclipsé sur le podium des Jutra, et encore moins la verve des Invasions barbares, l’autre portrait générationnel qui fit date.


TROGI PIS SA GANG

Trogi incarne à sa façon le modèle du « gars des vues » de la fin des années 1990 : affirmé et versatile plus que cinéphile, il passe sans gêne aucune entre la pub, le cinéma et la télé sans trop se soucier de ce qui se passe hors des plateaux – à preuve, les concepts discutables des affiches de ses deux longs métrages, que Trogi confie à ses producteurs pour mieux se concentrer sur d’autres projets ; c’est que le trentenaire et ses acolytes sont en demande depuis qu’on les a identifié comme de probants porte-parole de leur génération. Mais il faut aussi reconnaître que le couple, qu’il soit ado, vieux, désabusé ou idéaliste, est plus que jamais dans l’air du temps, et que le trio en a fait son principal cheval de bataille. Copains au bar comme au cinéma, on devine aisément que Trogi, Pearson et Robitaille ont dû passer pas mal de temps et de bières à se raconter leurs dernières histoires de cul, leurs déceptions et leurs fantasmes. Ils affirmaient récemment avoir été des « watcheux », des dragueurs de salon, de ceux qui regardent les arrière-trains passer sans s’embarquer. En bon québécois, leur homme rose intérieur a bien fini par mettre la main au collet de leur côté chaud lapin au point où il n’est plus possible de se lancer dans la cruise (« C’est arrivé près de chez nous », 1997), l’engagement (Québec-Montréal, 2002) et la paternité à reculons (Horloge biologique, en salles demain), fidèle évolution sentimentale de nos trois bourrus des cœurs. Une chance qu’il y a les femmes pour leur rappeler de vieillir et maturer un peu…


ON EST TROP FIERS, LES BOYS

Si les hommeries laissent un peu plus de place aux speeches des filles, Horloge biologique relance une bataille des sexes à l’heure du test de grossesse sans pousser trop loin. C’est ainsi que la jeune trentaine de Sébastien, Paul et Fred a déjà basculé dans son versant rose-gris, l’auriculaire pris dans l’engrenage du cocooning et le pouce pointé vers une précoce nostalgie, celle des dates avortées au secondaire, des éternels 5 à 7 et des relations d’un soir. Que l’un soit nouveau père, l’autre en fin de grossesse et le troisième l’épée toujours au vent, force est d’admettre que leur véritable famille demeure leur gang de chums, et leur refuge naturel, le vieux shack en Mauricie, peut importe quels bobards ils doivent utiliser pour rassurer leurs blondes… et leur propre conscience.


Pour les trois scénaristes, la conception qu’a l’homme de sa vie amoureuse est au mieux confuse et, au pire, préhistorique. Irresponsable et par trop influençable, Capitaine Cruise n’arriverait même pas à se défaire des clichés intergénérationnels tout en parties de chasse, en joutes de baseball et en visites hebdomadaires aux danseuses en équipe… entre la baise et les engueulades, point de plaisir mixte possible ?! Hormis leurs blagues (nombreuses, gratuites et réussies), la psychologie de nos playboys d’estrade engage tous les quiproquos et les dialogues du film sur la seule voie de l’échec amoureux par négligence. Et s’il reste difficile de différencier le film d’un épisode d’« Hommes en quarantaine », on regarde Horloge biologique sans consulter sa montre, sourire en coin, en souhaitant intérieurement que notre Frenche Connection gagne en maturité la prochaine fois sans trop prendre de coup de vieux.


© 2007 Charles-Stéphane Roy