mardi 17 juillet 2007

Critique "Brokeback Mountain"

Brokeback Mountain
de Ang Lee
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal

TRAGIQUE RODÉO POUR 2 ROMÉO

Brokeback Mountain nous dit que les cow-boys straight peuvent s’aimer. Mi-fougue, mi-raison, le dernier Ang Lee rend émotivement intelligent. Heath et Jake nous l’ont témoigné à Toronto.


Il fut un temps où malmener les films de cow-boy était presque un sport – Leone, Miller, Jodorowski et Carpenter en ont même fait leur vache à lait ; depuis, l’action et les gangsters n’ont cesse de faire passer les dernières incarnations du genre pour des pieds-tendres. Il aura fallu attendre le néo-américain Ang Lee, qui n’est plus capable de rater un film, pour sortir la caravane égarée du fossé. Sous la caméra assurée du Taïwanais au sourire candide, le scénario tiré de la nouvelle d’E. Annie Proulx désaxe l’ode traditionnelle au ranger juste ce qu’il faut pour possiblement donner au western son film le plus important depuis Il était une fois dans l’Ouest.


Pas vraiment Butch Cassidy & Sundance Kid homo et encore moins Midnight Cowboy d’enclos, Brokeback Mountain est plutôt une trotte classique au pays des amours interdites, celles entre deux hommes dans la fleur de l’âge. Pas de panique à Ste-Tite : le film n’a que faire d’exciter la clientèle gay ou défier la censure du MPAA états-uniens. Par contre, attendez-vous à de la tendresse frontale et des cœurs brisés pleins les éperons, une chasse-gardée qui ne semble toujours pas faire son chemin sous les Stetsons. Le rodéo homophobe serait toujours pratiqué au Wyoming, tout comme en 1960, l’époque où se sont rencontrés pour la première fois deux jeunes gardiens de troupeaux chargés de conduire des moutons d’un bout à l’autre des collines Brokeback. Ils travaillent, mangent, se lavent, puis finissent par dormir ensemble, à l’ombre des vallons sauvages. Une fois le contrat terminé, chacun rentre de son côté, se marie et devient chef de famille. Leurs retrouvailles intermittentes sur les 20 années suivantes se dérouleront loin des regards, en dépit de sentiments réciproques et de ménages respectifs sous règne macho. La tragédie guette, mais le film, pudiquement, ne remonte jamais ses torrents à la rage. Pas de doute, l’idylle marque.


« C’est de loin le plus beau scénario d’amour que j’ai lu», avouera Heath Ledger, parfait dans le rôle du Malboro Man réprimé, plus brin d’herbe que clope. « Mon personnage ne démontre ses sentiments qu’envers ses deux fillettes. Et jouer ainsi quelqu’un sur une période de vingt ans vous incite aux détails : la position de la mâchoire, la tonalité de la voix… C’est une investigation de caractères : on cherche les motivations qui réunissent ces deux hommes, et l’évolution de leur relation », analyse l’Australien. « Ang (Lee) a contribué à rendre la compassion et l’universalité de la nouvelle », avance pour sa part Jake Gyllenhaal, l’autre cavalier du film. « Proulx écrit que l’amour physique ou émotif n’est que l’extension de l’amitié des cowboys. C’était complexe, et Ang Lee parlait peu sur le plateau. Travailler avec Ang, c’est comme ne plus avoir de sexe après vous être marié au terme d’une cour intense », cabotine la nouvelle coqueluche people.


Pas sûr que l’Amérique morale soit prête à monter dans les étriers de Brokeback Mountain, même si la chevauchée mène plus loin encore le western tout en renforçant ses mythes. Dommage ce grand film, beau à en tomber de monture.


© 2007 Charles-Stéphane Roy