mercredi 9 mai 2007

Critique "The Muse" d'Albert Brooks

The Muse d'Albert Brooks
1999
Paru dans Ciné-Bulles

Après la surenchère estivale de films américains à numéro et sans grande imagination arrive une comédie portant incidemment sur la perte momentanée de créativité. Galvanisé par une distribution toutes étoiles ainsi que de mordants dialogues, l’acteur et cinéaste Albert Brooks retrouve sa touche scénaristique avec l’histoire d’un type qui a perdu la sienne. Mais The Muse n’amuse qu’à moitié...


Brooks incarne Steven Philips, un scénariste hollywoodien qui, au lendemain d’un gala au cours duquel il récolte un prix humanitaire pour l’ensemble de sa carrière, voit son dernier scénario refusé par un jeune exécutif qui va même jusqu’à remettre en cause sa compétence au sein de la profession. Paniqué par ce désaveu, Philips sollicite le soutien de son ami Jack Warrick (Jeff Bridges), qui lui suggère l’aide de Sarah (Sharon Stone), une authentique Muse ayant délaissé le Parnasse olympien en faveur des villas cossues des producteurs de Beverly Hills. Un marché se conclut rapidement entre eux, pacte comportant des clauses allant jusqu’à l’intrusion complète de cette dernière dans la vie privée de Steven et de sa femme Laura (Andie MacDowell). Devenu esclave des moindres caprices de cette Muse made in USA , le scénariste ne retrouvera son inspiration qu’après de multiples sacrifices, réalisant ainsi que l’intervention divine s’achète incidemment à fort prix !


À l’instar de Mother ou Defending Your Life, Albert Brooks utilise les croyances sociales et les mythes populaires pour exposer puis dérégler ceux qui, concrètement, régissent la vie de l’américain moyen. C’est ainsi que l’objet de son dernier film devient moins la reconquête de la créativité que la désillusion face à un système édifiant la performance professionnelle auquelle le héros sacrifiera une partie de sa raison comme de sa maison. En ce sens, Brooks trace dès le début du film une frontière entre l’homme humanitaire (il soumet comme définition « quelqu’un qui n’a jamais gagné l’Oscar ») et l’homme productif, condamné à un sybilin succès perpétuel, et où le moindre faux pas vous relègue aux oubliettes. C’est dans ce contexte que Philips, piqué dans son orgueil puis gagné par la peur de tout perdre, conclut une entente aux apparences faustiennes avec Sarah sur l’autel de la notoriété.


D’autre part, il demeure intéressant de constater alors que si plusieurs hommes éprouvent une angoisse d’impuissance sexuelle au début de la cinquantaine, Philips déplace ce tourment sur son potentiel créatif. Sa muse intervient ainsi à la manière d’une thérapeute en investissant son territoire intime plus que son imaginaire afin de susciter une réflexion débordant par le fait même les cadres de son mandat initial. Remises en question du couple, de la famille et des amitiés se greffent donc au récit, ce qui permet une compréhension plus globale du personnage et de son environnement. Néanmoins, Brooks ne fait qu’effleurer ces multiples pistes potentielles à la faveur de l’accumulation de situations comiques qui souvent tombent à plat. Et tandis que l’attention se tourne à mi-chemin du film vers sa femme, qui se trouve une vocation d’entrepreneur en lançant une ligne de biscuits (!), le scénariste patauge dans les méandres d’une répétition en crescendo de l’insolite situation initiale. L’intérêt s’émoustille donc rapidement, et, galvaudé par l’absence d’éléments catalyseurs en fin de parcours, le dénouement - assez prévisible d’ailleurs - laisse sur la faim.


De toute évidence, l’essence de ce film repose essentiellement sur la verve de Brooks, qui, dans le registre du quadragénaire insécure et incompris, excelle une fois de plus avec beaucoup d’aisance et de talent. Si bien même que malgré l’énergie manifeste qu’il a su canaliser parmi les membres de la distribution (mention spéciale à Sharon Stone, qui constitue une agréable surprise), The Muse demeure un one-man show où le gag l’emporte sur le récit. Et prouve que l’unique intervention de Thalie, la muse de la comédie, ne suffit pas à rédiger un scénario parfait. De quoi procurer de nouvelles (et, souhaitons-le, toutes aussi stimulantes) angoisses à Albert Brooks.


© 2007 Charles-Stéphane Roy