mercredi 9 mai 2007

Critique "Cookie's Fortune" de Robert Altman

Cookie’s Fortune de Robert Altman
1999
paru dans Ciné-Bulles

Imaginative, complexe, et invariablement teintée de dérision: l’oeuvre de Robert Altman, un des cinéastes américains les plus cruciaux des trente dernières années, s’enrichit d’un nouveau chapitre, Cookie’s Fortune. Voilà une comédie sans prétention qui vise juste grâce à une intelligente direction des acteurs, des dialogues portés par un rare sens du timing ainsi qu’une chaleureuse ambiance typiquement sudiste. Et même s’il sollicite plus souvent la rate que l’esprit, le film de ce cinéaste septuagénaire s’avère un divertissement drôlement efficace.


Après Nashville et Kansas City, la prochaine escale d’Altman se nomme Holly Springs, petite bourgade du Mississipi à la population rurale dont la promiscuité se traduit par un mode de vie communautaire et une propension à l’indiscrétion. C’est là qu’habite Jewel Mae « Cookie » Orcutt (Patricia Neal), la matriarche de la ville qui, malgré la vivacité et la chaleur qu’elle transmet à ses proches, supporte mal son veuvage. En mettant fin à ses jours, Cookie rejoint Buck, son amour éternel, mais laisse derrière elle ses nièces Camille Dixon (Glen Close), une metteur en scène excentrique et manipulatrice, et Cora Duvall (Julianne Moore), une candide comédienne dont le jeu tend à excéder les limites des planches. À la découverte du cadavre de sa tante, Camille travestira les lieux afin de faire croire à un meurtre. Ses motifs: préserver l’honneur familial qu’un acte de ce genre entacherait dans la communauté, puis ensuite hériter de la demeure de Cookie. Le sort veut que les accusations de cet homicide retombent sur Willis (Charles S. Dutton), l’ami de la famille et l’homme à tout faire de Cookie, qui s’affairait la nuit précédente à nettoyer la collection de révolvers du défunt Buck. Mais l’enquête, menée par Jack Palmer (Donald Moffat), un avocat amateur de Scrabble; Jason Brown (Chris O’Donnell), un aspirant comédien, et Lester Boyle (Ned Beatty), le compagnon des parties de pêche de Willis, se déroule plus sous le signe de la camaraderie que de la suspicion. Au point où Emma Duvall (Liv Tyler), la fille de Cora, sera même admise à partager la cellule de Willis en guise de protestation ! Et la vérité, dans cette ville éclectique, finit par éclater entre une représentation de Salomé, des bouteilles de Wild Turkey et quelques accords de folklore du delta.


À mille lieux de Gingerbread Man, Altman parvient cette fois à instaurer habilement une analyse imparable de certains traits sociaux sudistes tels l’obssession de la préservation des territoires (en pleine enquête, les deux soeurs font fi des banderoles interdisant l’accès au lieu du crime pour venir s’installer chez Cookie), les lois à l’intérieur des lois (le traitement réservé à l’inspecteur fédéral) ou les hiérarchies familiales (le matriarcat abusif qu’exerce Camille sur Cora, et celui, mécanique, de cette dernière sur Emma). Mais loin d’être une chronique sociale, Cookie’s Fortune ne s’apparente guère plus au genre de la comédie policière, ne comportant aucune chasse à l’homme et encore moins de violence ou de tension haletante. Son rythme, celui d’un gros blues sale, décrit plutôt mieux le train de vie régnant à Holly Springs: celui d’un refrain prévisible, presque monocorde mais combien chaleureux.


Et ainsi, Altman reprend sa composition en mosaïque en exposant plusieurs personnages à la fois, vivant différentes histoires. Le duo dominant/dominé Camille-Cora, plutôt caricatural, laisse progressivement sa place à des personnages secondaires moins torturés mais beaucoup mieux employés, en accord avec une imagerie sudiste à la fois moderne et utopique. En effet, si la population ne formule pas de racisme ni d’hostilité envers les étrangers, le corps policier, le soir venu, se métamorphose en troupe de théâtre récitant Wilde (à l’église de surcroît); et tandis que les armes sont remisées derrière les vitres de buffets, les hommes font sagement des parties de pêche. On est loin de Mississipi Burning ...


On ne peut cependant passer sous silence les brusques ruptures de ton, alors que le film débute par l’attitude menacante de Willis et l’explicite suicide de Cookie, puis ensuite verser dans une suite de one-liners tout à fait marrants, pour enfin se conclure par la macabre tirade d’une Camille totalement enragée dans sa cellule, qui a tôt fait de rejoindre sa tante. Mais le plaisir demeure réel lors des dialogues hilarants -et parfois absurdes - d’Anne Rapp, la véritable réussite du film. Et plus un collage de vignettes attachantes qu’un tout cohérent et réellement captivant, Cookie’s Fortune dénote l’intention d’Altman, en perte de vitesse depuis Ready-to-Wear et Kansas City, de viser la simplicité en délaissant un certain faste formel qui lui réussissait pourtant bien. Mais qu’importe, car à défaut d’en avoir plein les yeux, on conserve néanmoins le sourire aux lèvres.


© 2007 Charles-Stéphane Roy