jeudi 10 mai 2007

Critique "American Beauty"

American Beauty
de Sam Mendes
2000
Paru dans Séquences


Bonheur cosmétique


Comédie cinglante et cinglée sur la revanche d’un perdant, American Beauty témoigne, à la façon du Happiness de Todd Solondz, des revers du rêve américain et du culte de l’individu chez la famille de classe moyenne. Misant sur l’ironie des situations et le grotesque de toute une série de comportements, le premier film de Sam Mendes (un metteur en scène de théâtre fort réputé) n’est pas tant une charge contre les moeurs banlieusardes qu’un cri du coeur face au refoulement des pulsions les plus primaires dans la société au profit d’une sécurité absolue.


On assiste à la révolte en règle de Lester Burnham (Kevin Spacey), un quadragénaire en proie à une existence platonique partagée entre une relation sans passion avec sa femme Carolyn (Annette Bening) et un boulot insatisfaisant et qui, lors d’un spectacle de meneuses de claques, tombe sous le charme d’une copine de sa fille Jane (Thora Birch). Ce désir incontrôlable l’amène à requestionner les circonstances qui ont transformé sa vie palpitante en routine monotone et abrutissante; il retrouve pour ainsi dire un soupçon de jeunesse qui le poussera à non plus seulement assouvir ce besoin sexuel, mais désormais à redresser son estime personnelle et retrouver le respect qu’il a perdu par passivité. Il quitte son emploi, se met à s’entraîner et fume de la marijuana; il confronte sa femme et dénonce le cul-de-sac amoureux et familial dont ils semblent prisonniers.


Cette catharsis est partagée par la suite chez Carolyn, qui trouve chez un attirant vendeur l’image du gagnant qu’elle ne voit plus chez son mari, et chez Jane, qui se laisse filmer par son jeune voisin par besoin de reconnaissance. Ces trois êtres obnibulés par un puissant désir d’affirmation ne rencontreront leur destin que par l’éclatement total et irrémédiable du noyau familial, avec toutefois la satisfaction d’avoir amélioré leur existence.


Une très belle scène survient à mi-chemin du récit, alors que Ricky Fitts (Wes Bentley) et Jane visionnent un vidéo dans lequel on voit un simple sac de plastique virevolter au vent dans les feuilles d’automne: cette danse banale au premier abord constitue un bref instant de grâce aux yeux de Ricky, et renvoie précisément à cette quête de spontanéité et de beauté dans un mode de vie où les apparences et le succès se traduisent par un sacrifice de l’expression personnelle.


Le scénario d’Alan Ball s’applique à démontrer comment s’entrechoquent ces diverses professions de foi existentialistes en exposant périodiquement leurs tenants et aboutissants, et plus le récit progresse, plus il devient manifeste que le bien-être des individus s’effectue, dans ce cas ci, au détriment de la collectivité. Sans néanmoins poser jugement, le cinéaste catalyse par le biais de l’humour plusieurs scènes qui auraient pu tomber dans un pathétisme grinçant, et confine par ricochet à cette tragédie une touche d’humanité, où une vie sans plaisir équivaut à une mort sans douleur.


© 2007 Charles-Stéphane Roy