mercredi 9 mai 2007

Critique "The Blair Witch Project"

The Blair Witch Project
de Daniel Myrick & Eduardo Sanchez
1999
Paru dans Ciné-Bulles


L’enthousiasme qu’a suscité la sortie du Blair Witch Project n’est après tout pas si étonnant que cela: après l’âge d’or du film d’horreur des années cinquante et soixante, l’apparition du slasher dans les années soixante-dix et celui du gore dans les années quatre-vingt, la dernière décennie aura été autant décevante en termes du nombre de productions que de l’innovation d’un genre qui semblait se mordre la queue de façon insinueuse.


Le film des cinéastes de la Haxan Films Eduardo Sanchez et Daniel Myrick, à l’opposé des recyclages de Kevin Williamson (Scream, I Know What You Did Last Summer), s’avère un retour aux sources du film d’épouvante (à nuancer du film « d’horreur ») en tentant de remonter aux racines de la peur propre.


Il est rare que la genèse d’un film soit aussi intéressante et pertinente pour le spectateur (il est, voire même, une des conditions intrinsèques à sa réussite et son succès aux guichets) que le résultat final, et The Blair Witch Project est l’un de ceux-là. Réalisé avec des poussières (environ 40 000 dollars) par deux débutants, le film possède deux pendants indissociables et complémentaires, soit un site internet (www.blairwitch.com) et un reportage de fiction sur la sorcière Blair diffusé sur le Discovery Channel aux États-Unis.


Ces deux entités extra-filmiques corroborent à activer le mythe (fictif, il va sans dire) d’une sorcière du XVIIe siècle qui aurait enlevé des enfants d’un village du Maryland et qui, depuis, aurait été aperçue périodiquement errant dans la forêt Black Hills près de Burkittsville. Un concept publicitaire du tonnerre qui a fait mouche en créant un engouement inespéré pour cette légende de malédiction montée de toutes pièces.


Cette histoire à dormir debout est également le sujet du documentaire qu’ont préparé en 1994 la réalisatrice Heather Donahue, assistée du caméraman Joshua Leonard et du preneur de son Michael Williams (pour ajouter au réalisme de l’entreprise de Sanchez et Myrick, ils conservent dans le film leurs propres noms). Armée de sacs de camping, d’une caméra 16 mm et d’une vidéo Super8, l’équipe de tournage commence par recueillir les témoignages des habitants de Burkittsville (anciennement Blair) sur leur perception de la croque-mitaine locale, et ensuite se rendre sur les lieux maudits à la recherche d’indices leur permettant de percer ce mystère.


C’est précisément à ce moment que les documentaristes se (con)fondent avec le sujet filmé en devenant les propres sujets de leur entreprise initiale, et que la caméra recentre son objectif non plus sur l’objet de quête, mais désormais sur la quête en elle-même. L’expédition vire rapidement au cauchemar alors que le groupe commence à tourner en rond et perdre toute orientation pour ensuite épuiser leurs vivres, leurs énergies et leur optimisme. Les bruits étranges qui viennent soudainement les réveiller une fois la nuit tombée ainsi que la découverte de différents symboles de rites païens (monticules de pierre, figures de bois suspendues aux arbres) viennent renforcer leur hantise de la présence de la sorcière au sein d’une forêt qui semble de plus en plus hostile. On ne les a plus jamais revu, et les dernières séquences de leur périple ne viennent que jeter une vague et ambivalente lumière sur les circonstances de leur disparition.


The Blair Witch Project constituerait donc un montage de la pellicule retrouvée par les autorités un an après ces événements. Dans les faits, les cinéastes Sanchez et Myrick, à partir d’un canevas souple, ont laissé leurs trois acteurs filmer leurs improvisations seuls dans le boisé, et ce n’est qu’au retour de ces derniers qu’ils ont véritablement débuté à construire leur récit en sélectionnant et montant quelques-unes des scènes à partir des 200 heures recueillies.


Cette méthodologie inusitée comporte néanmoins un revers indéniable: le piège de l’ardeur déployée à convaincre le spectateur d’entrée de jeu que ce qu’il voit s’est réellement déroulé provoque l’effet contraire, en ce sens qu’il est difficile de comprendre comment le premier réflexe d’un être hystérique et terrorisé en pleine nuit puisse être de prendre immédiatement une caméra et de filmer ce cauchemar !


La latence d’informations au sujet de la mythologie Blair empêche également de saisir, sinon ressentir toute l’ampleur de la peur qu’éprouvent Heather, Josh et Michael, même si l’ambiguité délibérée de la séquence finale suggère qu’ils n’ont peut-être été victimes uniquement de leurs appréhensions; en d’autres termes, qu’ils sont morts... de frayeur. Les cinéastes, sans l’apport d’effets spéciaux, ont par contre utilisé avec intelligence toutes les ressources que leur offrait le hors-champ et démontré que la peur la plus profonde surgit souvent de ce qu’on ne voit pas. Et le plus souvent qui n’existe pas.


© 2007 Charles-Stéphane Roy