vendredi 11 mai 2007

Critique "Capturing The Friedmans"

Capturing The Friedmans
de
Andrew Jarecki
2003
Paru dans la revue Séquences


Ce premier film d’Andrew Jarecki lève le voile sur les dessous de l’Affaire Friedman, cette famille de Great Neck, NY qui retint l’attention des médias en 1988 alors que le patriarche et le cadet du clan furent arrêtés pour diverses agressions sexuelles commises sur une vingtaine d’étudiants dans son sous-sol lors de cours d’initiation à l’informatique. Après avoir plaidé tous deux coupables, le premier se pendit en prison tandis que le second y croupit durant treize ans. Pour la police, la population et l’épouse du professeur, il ne fit aucun doute que ces individus récoltèrent des sentences pleinement méritées tandis que son fils aîné, la moitié de ses étudiants et certains spécialistes de cas similaires crièrent au complot en réclamant réparation.


Qui plus est, le récit des principaux témoins de cette sordide histoire génère une incroyable ambiguïté sur les motivations des inculpés, le déroulement des procédures judiciaires, la couverture médiatique et surtout le karma de cette famille banlieusarde de classe moyenne, de son dérèglement subit jusqu’à son implosion hiérarchique et émotionnelle. Cette incursion au cœur de l’intimité des Friedmans fut rendue possible grâce à l’impressionnante quantité d’archives Super-8 et vidéo familiales ; reflet de l’évolution de cette technologie, la caméra semble avoir été le 6e membre du clan, bien au-delà des traditionnelles captations de fêtes et d’événements significatifs. C’est que David, l’aîné qui avait l’habitude de filmer tout et n’importe quoi, a continué d’enregistrer le quotidien de sa famille durant toute la durée du procès dont fit l’objet son père et son jeune frère : ses propres répliques assassines envers sa mère, le mutisme paternel, l’insouciance du plus jeune, tout !


Cette proximité inouïe du présent d’une cellule autrefois unie jumelée aux discours diamétralement contradictoires des avocats, policiers, voisins et membres de la famille élargie sur qui étaient réellement Arnold Friedman (lui-même ne nie ni n’avoue quoi que ce soit) et son comportement sexuel ont tôt fait de provoquer un malaise immense face à la complexité du lien de sang et, irrémédiablement, du filtre qu’il instaure sur une lecture rationnelle de tout drame familial. Rarement avons-nous pu enfoncer notre nez aussi profondément dans le linge sale des autres, si bien que la nausée n’est jamais bien loin.


© 2007 Charles-Stéphane Roy