jeudi 10 mai 2007

Critique "Moments donnés"

Moments donnés — Robert Morin : entrevue(s)
de Jean-Pierre Boyer, Fabrice Montal et Georges Privet
2002
Paru dans la revue Séquences


Dans la foulée des récentes rétrospectives et du lancement d’un coffret DVD anthologique, le Vidéographe offre aux lecteurs un ouvrage consacré au cheminement du cinéaste Robert Morin. Les trois volets de ce recueil de textes proposent de pertinentes perspectives sur cette filmographie cohérente, du Motel au Nèg’. Que l’on traite de bandes vidéo, d’essais ou de ses longs métrages de fiction, il n’y a aucun doute que, chez Robert Morin, l’audace et la liberté de lecture demeurent au coeur d’une démarche personnelle quelquefois hermétique.


Le premier texte est la retranscription de deux entrevues vidéo que le cinéaste accorda à son ami et collègue Jean-Pierre Boyer entre 2000 et 2001. Lucide, interrogateur et étonnament en verve, Morin relate ses premières bavures vidéo et sa contribution au sein de la Coop vidéo de Montréal jusqu’à son malaise à composer avec des équipes de production et des budgets plus importants.


Si le propos demeure vif, articulé et expose d’intéressantes corrélations entre l’expérience personnelle de Morin et ses ambitions artistiques, il n’en demeure pas moins que Boyer a recours par moments à un sens de la complaisance inapproprié afin de masquer certaines lacunes à relancer la discussion ou pour secouer l’humilité du principal intéressé, visiblement peu enclin à se faire mettre sur un pied d’estale.


Les limites de ce type d’intervention ne nuisent néanmoins que partiellement à la compréhension de l’évolution du cinéaste. Fabrice Montal poursuit à mi-parcours avec l’analyse de ce corpus filmique autour de trois axes : le cinéaste et son double, la fictionnalisation du documentaire et le cinéma de la cruauté. Simple et concise, cette synthèse accuse par ailleurs une certaine redondance ou symétrie avec les propos de Morin cités au chapitre précédent.


Beaucoup plus complémentaire et dynamique s’avère la vidéo-filmographie commentée par le cinéaste et mis en scène par Georges Privet au terme de ce recueil décidément construit à rebours; avec force insistance, Morin réitère son mandat de redonner au spectateur un spectacle participatif en escamotant volontairement certains éléments du récit ou en transcendant le principe de moralité. Sans faire (assez) de bruit, cette oeuvre prend tranquillement place dans une cinématographie qui, entre Pierre Harel et Donigan Cumming, demeure toujours l’une des plus stimulante au Québec.


Moments donnés — Robert Morin : entrevue(s)
Jean-Pierre Boyer, Fabrice Montal et Georges Privet
Montréal : Vidéographe Éditions, 2002
171 pages


© 2007 Charles-Stéphane Roy