jeudi 10 mai 2007

Critique "10"

10
de Abbas Kiarostami
2003
Paru dans la revue Séquences


Les amateurs de Kiarostami, surtout du Goût de la cerise et du Vent nous emportera, risquent de regarder leurs montres plus d’une fois durant la projection de 10. Non pas que le film soit dénué d’intérêt, mais plutôt qu’il accuse rapidement une linéarité stylistique excessivement minimaliste. 10 serait ainsi plus un film pour cinéastes que pour le commun des spectateurs, comme peuvent l’être certains Godard, Warhol ou Antonioni; des oeuvres croulant sous le poids d’une codification et de structures souveraines, au détriment d’un (souhaitable) sens du spectacle.


Ce qui n’enlève rien à l’importance de ce Kiarostami plus formaliste qu’à l’accoutumée, d’une part à l’intérieur de son éloquente filmographie, mais également au sein du corpus récent d’oeuvres tournées en DV. Ce qui démarque 10 de ses contemporains numériques, ce n’est pas tant au niveau d’une quelconque percée esthétique que dans l’exploitation des possibilités spatio-temporelles intrinsèques à ce support.


En effet, le cinéaste capte dix conversations entre une femme et ses interlocuteurs de passage dans une voiture en mouvement. La caméra, fixe, enregistre les conflits et embrouilles sentimentales de la conductrice à partir du coffre à gant, bloquant ainsi l’accès à son visage et ses réactions. Cette utilisation particulière du hors-champ stimule l’implication du spectateur afin de combler l’absence visuelle du personnage principal tout en témoignant d’une démarche aussi fascinante que rebutante : l’ablation de tout mouvement cinétique à l’intérieur d’une prise unique.


L’intervention même de Kiarostami ne s’est alors produite qu’avant le tournage de ces prises, si bien qu’il a su remettre en cause avec intelligence la notion même de mise en scène, ici restituée exclusivement dans les dialogues et le débit des répliques. Dans la première séquence, de jeunes inconnus baissent la vitre du véhicule et observent tantôt l’action, tantôt la caméra; le film se nourrit autant de ces imprévus fortuits que de l’exiguë cadre narratif dont il démontre radicalement les possibilités et les limites.


© 2007 Charles-Stéphane Roy