jeudi 10 mai 2007

Carrousel international du film de Rimouski 2001

19e Carrousel international du film de Rimouski
2001
Paru dans la revue Séquences

Au large du cinéma


Les festivals de cinéma en région se démarquent décidément des métropolitains par leur convivialité et leurs environnements enchanteurs. Mais plus important encore, la programmation de ces événements spécialisés affiche une qualité et une diversité n'ayant rien à envier à leurs confrères de Montréal ou Québec. Rimouski organise depuis presque vingt ans un festival international de cinéma jeunesse, et l'organisation jouit aujourd'hui d'un appui considérable de la communauté locale des affaires et des Commissions scolaires du Bas-St-Laurent, ce qui lui assure une amplitude manifeste au niveau de la sélection, des invités internationaux — plus d'une vingtaine cette année — ainsi que divers organismes culturels québécois majeurs.


L'un des accomplissements majeurs du Carrousel demeure cette brillante stratégie de formation, d'éducation et de pratique du cinéma au coeur des cursus pré-universitaires au sein desquels se greffent divers ateliers impliquant jeunes spectateurs et professionnels, coordonnés cette année par Natalie Martin (ONF) et Steeve Francoeur (L'Oeil cinéma). Le résultat de ces laboratoires de création présenté au cours du festival alimente de façon significative l'intérêt de la population étudiante envers le Carrousel, qui bénéficiera éventuellement de ce spectatoriat au cours des prochaines éditions.


Cette année, dix longs métrages et tout autant de courts furent présentés en compétition dans la course aux Camérios, prix remis par un jury international composé exclusivement d'enfants. Les autres films appartenaient à la catégorie "Information", une sélection proposant des oeuvres aux thèmes universels, tels que la tolérance, le respect et la compréhension de faits historiques.


Si certains films privilégiaient une approche similaire aux récents Contes pour tous (manichéisme moralisateur par lequel le message est le médium, distribution arc-en-ciel orchestrée dans une langue normative en vue de retombées internationales), plusieurs parvenaient à présenter des singularités esthétiques et narratives parfaitement calibrées entre la couleur locale et l'universel. Parmi ceux-ci se retrouvaient Hasta Los Huesos (Croque la mort) du Mexicain René Castillo Rivera, un conte d'outre-tombe fort réussi dans lequel un mort apprivoise lentement sa nouvelle condition au contact des habitués d'un cabaret-purgatoire. L'animation parvient de saisissante façon à exprimer ici avec force détails et humour les émotions de ces êtres en transit dans une atmosphère folklorique fortement stylisée.


Dans un tout autre registre s'inscrivait l'inspiré Soleil de Nuligak du Québécois Richard Lavoie sur la partie de pêche aux moules bien particulière d'un jeune Inuk et de sa fascination pour une lampe de poche. Tourné entièrement en inuktitut avec une économie de moyens techniques et narratifs, ce trop court film transcende l'imagerie inuit traditionnelle et explore avec un respect interculturel exemplaire le rapport entre la génération des aînés, celle des valeurs ancestrales et de l'isolement, et la suivante, moderne et citadine. Entre chaleur et authenticité, le film de Lavoie récolta une mention spéciale du jury CIFEJ pleinement méritée.


Par contre, il demeure étonnant que le Camério du court métrage échappa au magnifique O Branco (La couleur blanche) des Brésiliennes Ângela Pires et Liliana Sulzbach, l'auteure de A Invençao de infançias (L'invention de l'enfance), un documentaire audacieux sur la fabrication des idéologies dominantes entourant le premier âge. Dans ce nouveau récit d'une simplicité attachante, un jeune aveugle apprivoise l’autonomie et l’amitié en dépit de son handicap. Sa vision du monde relève des contrastes de couleurs, qu'il attribue aléatoirement aux objets, aux lieux et aux émotions. L'intérêt de ce film réside particulièrement au niveau de sa mise en scène, expressive et rythmée, et de son approche poétique de la vie et de l'adolescence, dénuée de complaisance ou d'apitoiement. Une des agréables surprises dans la section Courts métrages, alléchante et particulièrement étoffée.


La sélection de longs métrages s'avéra nettement plus inégale, particulièrement chez les films réservés aux plus jeunes. Azzuro de Denis Rabaglia méritait néanmoins le détour, offrant en prime une des rares interprétations de Marie-Christine Barrault. Cette chronique des rapports socio-familiaux entre Suisses et Italiens proposait à l'auditoire jeunesse une réflexion humaniste sur la persévérance et l'intégration cristallisée autour de la levée de fonds d'un vieil architecte destinée à défrayer une intervention oculaire sur sa petite-fille aveugle, quête rendue avec un humour et un sens de la répartie dramatique proprement italiens.


Mais le film incontournable de cette 19e édition était Pramen Zivota (La source de vie) du Tchèque Milan Cieslar, une déroutante incursion au coeur des colonies nazies mandatées de reproduire la race aryenne durant la Seconde guerre mondiale. Cette oeuvre saisissante et admirablement documentée proposait au public adolescent un portrait bouleversant sur la folie et les conséquences des doctrines eugéniques pratiquées par les régimes totalitaristes, trouvant toujours écho dans l’actualité internationale. Souhaitons que le Carrousel récidive l’an prochain avec du cinéma jeunesse de ce calibre.


© 2007 Charles-Stéphane Roy