lundi 21 mai 2007

Commentaire "Farenheit 9/11"

Farenheit 9/11
de Michael Moore
2004
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


Le temps des bouffons


Je sors tout juste de la projection de Farenheit 9/11, le plus récent brûlot de Michael Moore, ce Oliver Stone du Midwest, et je suis toujours estomaqué par les applaudissements réservés à ce soi-disant documentaire. Le bedonnant réalisateur y dénonce les demi vérités, l’hypocrisie et les contradictions de toute l’administration Bush, grand larron devant l’éternel, en abusant... de demi vérités, d’hypocrisie et de contradictions.


Entre propagande et contre-propagande, nous avons affaire à deux démagogues (MM et GWB) d’une rare symétrie, ying et yang de la fausse expertise et des discours creux exposés dans cette terrifiante démonstration des revers d’une époque où, devant l’autel de la grande démocratie, les deux plus récentes générations, à l’aide d’Internet, de Photoshop et des Mini-DV, ont engendré un nombre monstrueux de gérants d’estrade qui s’ignorent et dont les plus sarcastiques recueillent les votes ou les cotes d’écoute qu’ont perdu les analystes et autres journalistes limités par leur serment d’objectivité, jugé paradoxalement… trop terne pour s’y intéresser.


Durant le film de Moore, on commence par rire, puis un peu plus jaune et enfin plus du tout devant cette démonstration à la fois pacifiste et va-t-en-guerre, au montage forcément douteux (phrases tronquées, emphases sur des pré-entrevues hors-propos et autres blagues de collégiens) et à la petite semaine, récupérant au passage la commission d’enquête du 11 septembre 2001 et le scandale des tortures carcérales. À côté, Jean-René Dufort passerait pour Fernand Seguin, sans pour autant (trop) s’attaquer à l’intelligence de son auditoire. Quand un prétendu cinéaste cite Orwell pour dénoncer la manipulation du discours politique au terme d’un exercice d’une aussi gratuite subjectivité, il y a lieu de croire que le laxisme et la mauvaise foi, eux, sont d’une démocratie à toute épreuve.


Et si Moore est devenu si populaire – et il le sera un peu plus dans deux mois – c’est surtout à cause du même cynisme ambiant et du manque de culture politique qui ont porté au pouvoir les W. Bush et Charest de ce monde. Mais avions-nous réellement besoin d’un autre bouffon pour les dénoncer ? Par d’intenses jeux de lobbying, les municipalités, au même titre que les compagnies, les banques ou les universités sont devenus des micro-gouvernements quasi autonomes tant ils dictent leurs intérêts à la classe politique ; à ce jeu de la démocratie inversée, chaque citoyen peut également se conscientiser par le biais de blogs et de chaînes de courriel afin de faire circuler de l’information (quelle que soit sa véracité ou sa pertinence) sans avoir désormais à imposer ses humeurs et au petit et grand écran.


Mais d’ici là, comme Bush, Moore va engendrer d’autres réalisateurs qui enflammeront la pellicule de discours creux, de technique défaillante et d’humour gras (bonjour Morgan « Supersize » Spurlock). Car, qu’on le veuille ou non, décerner une Palme d’or à un Michael Moore engendre autant de dommages collatéraux que porter au pouvoir un Georges W. Bush.


© 2007 Charles-Stéphane Roy