mercredi 9 mai 2007

Critique "Election" d'Alexander Payne

Election
d’Alexander Payne
1999
Paru dans Ciné-Bulles


Conçu par MTV Films Production, Election est un film dont les principaux rôles sont joués par des adolescents et dont l’action se déroule sur le campus d’un High School américain. Non non, ne passez pas à la critique suivante, car ce second film d’Alexander Payne se tient aux antipodes des comédies bas de gamme aux accents juvéniles MTV (Varsity Blues ou Dead Man On Campus). Étonnante et irrévérencieuse, cette chronique désopilante sur le pouvoir, l’éthique et (donc) l’ambition possède un mordant rarement vu dans ce genre populaire, à l’instar du mésestimé Strike de Sarah Kernochan. Comme la douce revanche des tronches sur Ferris Bueller...


Au Georges Washington Carver High, Jim McAllister (Matthew Broderick) accumule les titres de « Professeur de l’année » en s’évertuant à influencer positivement la vie de ses élèves. Cet homme rangé cultive une vie équilibrée lui procurant un bonheur paisible. La seule ombre au tableau de MacAllister se nomme Tracy Flick (Reese Whiterspoon), une élève qui a ruiné la carrière et la vie de son collègue Dave Novotny (Mark Harelik) à la suite d’une liaison éphémère.


Flick est le prototype même de l’étudiante modèle, qui carbure aux trophées méritoires ainsi qu’à des implications soutenues dans tous les comités imaginables du campus. À sa chasse aux honneurs ne manque que le titre de présidente du gouvernement étudiant, qu’elle convoite férocement. Seule candidate, le poste lui semble assuré, mais le professeur McAllister ne lui concèdera pas une victoire facile.


Il convaint Paul Metzler (Chris Klein), un ex-footballeur populaire, de se jeter dans la mêlée afin de brouiller les cartes électorales. À cet authentique nigaud se joint sa soeur Tammy (Jessica Campbell), une renégat qui promet d’abolir le conseil des élève un fois élue. Mais la véritable lutte s’effectue entre Flick et McAllister, qui n’épargneront aucun coup bas pour arriver à leurs fins.


Cette satire politique démontre que peu importe l’arène, les règles de jeu demeurent identiques. En ce sens, le scénario de Tom Perotta s’inspire autant de la course à la présidence américaine de 1992, où Ross Perot constituait une douteuse alternative aux bagarres républico/démocrates, que d’un incident survenu lors d’un bal de finissants d’un High School du Nebraska, alors que son directeur avait incendié les ballots de vote de la Reine de la soirée parce qu’il ne voulait pas que la candidate la plus populaire, alors enceinte, ne soit élue.


Ces sybilins jeux de coulisse entre le professeur et son élève ne reflètent pas tant une charge du cinéaste contre les premiers de classes ou les précoces carriéristes pour qui les récompenses acquises à l’école constituent une étape décisive vers une vie professionnelle gagnante; mais plutôt une esquisse des enjeux éthiques reliés à une ambition démesurée qui gagne les jeunes comme les adultes.


On ne peut ainsi juger objectivement les motivations de Tracy Flick, caricature d’un idéal étudiant (encouragé par nombre de professeurs, d’ailleurs) nourri par un impressionnant amour-propre, ou celles du directeur Hendricks (Phil Reeves), qui veut éliminer par tous les moyens possible la candidature anarchique de Tammy Metzler, car ils contituent un microcosme de la joute sociale qui attend les futurs diplômés à leur sortie de cette école secondaire d’Omaha.


Comme toute comédie réussie, Election mise sur des mises en situations ingénieuses et sur des dialogues détonnants. Payne articule le récit autour de quatre narrateurs (McAllister, Flick et les Metzler) afin d’ouvrir d’intéressantes parenthèses pour découvrir certains secrets des personnages (l’infidélité de McAllister, l’homosexualité de Tammy Metzler, ou tout simplement la stupéfiante bonhomie de son frère Paul). Servis par des effets de style créatifs ainsi qu’une utilisation judicieuse de la voix-off, ces digressions narratives galvanisent le rythme de la production et procurent des éclats de rire à répétition.


Et comme pour Citizen Ruth, le premier long métrage du cinéaste, l’irrévérence du ton sert plus son propos qu’il ne lui nuit, et cela sans jamais sombrer dans la bêtise ou la pure gratuité. Il faut souligner le pathétisme de Matthew Brodewick - un acteur somme toute moyen - qui joue ici avec retenue ce professeur à la morale discutable, et Reese Whiterspoon qui, avec une conviction désarmante, constitue l’actrice idéale pour incarner cette casse-pieds dont la détermination frôle l’obssession.


Plusieurs autres rôles ont été confiés à des acteurs débutants, comme le mémorable Chris Klein, le « Paul-itician » dont la candide stupidité atteint des sommets de virtuosité à chacune de ses présences. Mais bien plus que des caricatures de la gent populaire adolescente, ces caractères, à l’image de plusieurs éléments d’Election, forment pourtant le pivot propre à toute satire: une exagération des traits mettant en lumière des attitudes sociales rationnelles déjà grotesques.


© 2007 Charles-Stéphane Roy