vendredi 8 juin 2007

Présence autochtone 05

Festival Présence autochtone
2005
Paru dans l'hebdo ICI Montréal


portraits avec lÉgendes

La 15e édition de Présence autochtone continue à redonner une identité et une histoire aux minorités les moins visibles, ici comme ailleurs. Retenez bien celles de Larry Blackhorse Lowe.


En dépit des efforts consentis par nos gouvernements, il faut avouer que les cultures premières ont toujours aussi peu de droit de cité au cinéma, à la télévision et dans les médias. Un exemple parmi d’autres, celui de The Journals of Knud Rasmussen, le plus récent projet du cinéaste Zacharias Kunuk, dont le tournage s’est conclu en mai : la seule mention francophone sur le web revient au quotidien français Libération, qui a même dépêché un journaliste au Nunavut pour l’occasion… on parle ici d’un récipiendaire cannois, tout de même!


Il faut croire qu’au moment où les chaînes CBC et APTN allouent de substantielles plages horaire à la question autochtone, le Québec continue à proposer de bien timides tribunes à ces « braves » à qui on déroule pourtant le tapis rouge quand vient le temps d’alimenter nos presses et nos climatiseurs. À l’extérieur des sentiers battus, quelques initiatives parviennent à émerger, comme celles de Rezolution Pictures, boîte crie créée par Catherine Bainbridge et Ernest Webb s’illustrant par l’aspect social des interpénétrations culturelles, et le Wapikoni Mobile, coopérative mobile de formation vidéo aux Premières nations mise sur pied par l’Office national du film et Manon Barbeau, de plus en plus remarquée sur le web et dans les festivals. Avec eux et d’autres, l’événement Présence autochtone continue à maintenir les braises ardentes. Tentons de déchiffrer quelques signaux de fumée.


Des vues d’ici, on se tourne vers le documentaire Mohawk Girls de Tracy Deer où est interrogée la prochaine génération de professionnelles dans la fleur de l’âge et le monde des possibles, incluant un avenir loin des leurs ; Heavy Metal de Jean-Pierre Maher et Neil Diamond sur la contamination de la faune du nord québécois par les résidus industriels, et Slammin’ Iron de Jerry Thompson, éloge du génie mohawk à l’œuvre dans la reconstruction du World Trade Center.


On éprouvera un sain malaise pendant le visionnement du film Le Rouge et le Noir… au service du Blanc, docu-dramatisation d’une sombre facette du colonialisme à la mode de chez nous sous le drapeau français, l’esclavage « ordinaire » tel qu’exercé par des figures connues telles que Marguerite d’Youville et De la Vérendrye. Bien que les Amérindiens réservaient le même sort à leurs prisonniers de guerre avant l’arrivée des Blancs, rares sont ceux qui furent affranchis à cette période où la traite humaine gangrenait 5% de la population de la Nouvelle-France. Même les Jésuites et les Sœurs grises s’étaient mis de la partie! Inutile d’ajouter que notre vieux fond judéo-chrétien en prend un coup, gracieuseté de la recherche approfondie de la cinéaste Marquise Lepage.


Le point de mire de cette 15e édition sera le retour du cinéaste Jorge Sanjinés, pilier de la production indépendante bolivienne, et la rétrospective de son œuvre culminant avec la présentation en primeur de son premier-né en haute définition, Los Hijos del último jardín. On passe rapidement sur Stryker du Manitobain Noam Gonick, chronique pimpée d’un hiver turbulent dans la communauté Posse de Brokenhead ayant plus à voir avec le film de gang bancal et ringard à la Classe de ’84 que le portrait rural façon North of ’60, car un petit bijou inattendu mérite toute notre attention. Ça s’appelle 5th World et ça nous fait décoller dans les règles de l’art : montage dans le ton, acteurs dont on tombe rapidement amoureux, paysages sauvages et envoûtants – ça en fait déjà beaucoup pour un récit qui se contente seulement de suivre l’arc amoureux d’un couple Navajos déambulant dans les canyons de Monument Valley. Expérimentale et cinéphile, cette bouffée d’air frais nous souffle une voie à suivre, celle d’une amorce idyllique entre l’art, la culture, l’histoire et la possibilité d’un bonheur transcendant le territoire et les traditions.


© 2007 Charles-Stéphane Roy