vendredi 1 juin 2007

Critique "Kingdom of Heaven"

Kingdom of Heaven
de Ridley Scott

2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


HISTOIRE D’Y CROIRE

Le dernier Ridley Scott, ou comment désacraliser la violence des Croisés


Depuis le péplum macho Gladiator, les Majors nous ont inondé de nombreux films « historiques » qui se sont avérés d’onéreuses mascarades pour renouveler le film d’action, en panne sèche. Ridley Scott, le responsable de cette mode que l’on souhaite passagère, repart en guerre avec Kingdom of Heaven, un pensum fatigué, peu inspiré et taillé sur mesure pour un public qui a déserté les bibliothèques. 100 millions de dollars furent injectés dans cette pharaonique reconstitution du Jérusalem d’entre les 2e et 3e Croisades, bancale manœuvre de laïcisation des tensions entre les Chrétiens du roi lépreux Baldwin IV et les Musulmans unifiés sous la gouverne de Salah al-Din. Car la religion n’est plus ici l’objet de la conquête et de la défense de la Ville Sainte ; pire encore, elle est reléguée à de douteux bonnets d’arrière-ban tassés dans un coin pour mieux céder leur place historique à un précoce nivellement des privilèges, loin des drapeaux et des confessions. C’est la voie que suit Balian, un forgeron français en mal d’expiation depuis la mort de sa femme, convaincu par Godfrey d’Ibelin, un chevalier en permission, de l’accompagner pour défendre Jérusalem. Ça tombe bien, Balian apprend dans la même foulée qu’il serait l’un des bâtards du pieux baron ! Une fois les pieds en Terre Sainte, Balian se retrouve à la tête de l’armée du Roi et tombe amoureux de Sybilla, la sœur épargnée de Baldwin IV. Parlez-moi d’un destin !


Bienvenue dans les Croisades revues (et surtout corrigées) par Sir Ridley Scott, où la poussière et la sueur scintillent de propreté, où les rois se découvrent des scrupules et les simples chevaliers peuvent jouir d’un accès illimité aux antichambres de la princesse. Au diable la modestie et la tension retenue de ses débuts (le trop méconnu The Duellists) : le cinéaste britannique ne sort plus de chez lui sans l’artillerie lourde et réquisitionne désormais tout l’hôpital pour accoucher d’une souris. Casting établi, donc forcément typé (Liam Neeson le sage, Jeremy Irons le noble, Brendan Gleeson le malicieux), figurants par légion, locations lucratives en Air Miles… On apprend que Scott aurait même été obligé de laisser sur la table de montage plus d’une heure de matériel, ce qui expliquerait les raccords laborieux, la prolifération de fondus au noir et les réapparitions subites de plusieurs personnages secondaires.


Mais qu’importe. Vaguement moraliste, Kingdom of Heaven épouse ni plus ni moins les mêmes préceptes que la porno : bien qu’on y parle de tolérance et qu’on louange les vertus du don de soi, tout cela n’est que prétexte à de luxuriantes marées humaines et de reconstitutions historiques 3D mettant la table pour les nombreuses scènes où l’on embroche du profane à profusion, justifiant ainsi les instincts les plus barbares. Exténuante, pompeuse et souvent éculée, cette dernière croisade ne parvient qu’à ébranler un peu plus notre foi déjà vacillante dans un nouveau cinéma épique réellement instructif et émouvant.


© 2007 Charles-Stéphane Roy