vendredi 1 juin 2007

Carrousel de Rimouski 04

Carrousel de Rimouski 04
2004
Paru dans la revue Séquences


Ils voient grand, ces petits !


À la fin septembre, il faisait bon se retrouver à Rimouski pour la 22e édition du Carrousel, plus internationale et copieuse que jamais. Pendant une semaine, les habitants du Bas-Saint-Laurent, petits et grands, eurent accès à une sélection de films courts et longs de qualité et d’intervenants du Québec, d’Europe et du Moyen-Orient avec la mise en place d’ateliers professionnels et de projections destinées aux jeunes et aux cinéphiles de la région.


Menée avec dynamisme et vision par la directrice Kathleen Aubry et le président Jean-Roch Côté, l’événement respire la confiance, la cohérence et l’enthousiasme à l’unisson des ténors administratifs, pédagogiques et culturels rimouskois, dont la fierté et le dévouement sont palpables de cocktails en galas, de projections en festivités. Au menu programmé par Gabriel Anctil se retrouvaient plusieurs films primés à l’étranger, dont l’heureuse initiative que fut cette section spéciale sur le cinéma jeunesse iranien.


Loin de se restreindre qu’aux nouvelles têtes d’affiche internationales de leur créneau, il faut saluer le CIFR pour avoir permis à une nouvelle génération de s’initier aux films de pionniers québécois venus sur place pour l’occasion : Frédéric Back (dont un hommage fut rendu), Co Hoedeman, Werner Nold et Jean-Pierre Masse ont ainsi profité de leur passage pour partager leur passion du cinéma et leurs méthodes de travail respectives, tandis que des ateliers sur la publicité, le maquillage et l’animation furent inscrits à l’agenda des étudiants pré-universitaires.


Si les plus jeunes purent encore produire et inscrire en compétition des animations collectives, les plus âgés avaient la chance de vivre une nuit blanche en visionnant des succès québécois. Le Carrousel n’oublie personne, d’où la formidable réponse des écoles, du grand public et des professionnels.


La qualité de la programmation se personnalise un peu plus à chaque année à Rimouski, alors que l’équipe magasine et se fait voir à Berlin, Téhéran ou Chicago lors de manifestations parentes. Présent au palmarès de cette 22e édition, le court animé franco-belge Le portefeuille de Vincent Bierrewaerts, dans lequel un homme se détriple après avoir trouvé un portefeuille, était précédé de prix reçus à Clermont-Ferrand et Leipzig. Ses actions deviennent parallèles tout comme leurs conséquences dans cette juxtaposition de couleurs et de lignes symétriques particulièrement fluides.


Malgré ses évidentes qualités narratives et esthétiques, on s’étonne toutefois qu’il fût préféré à Ryan, l’époustouflant documentaire animé surréaliste du Canadien Chris Landreth, célébré partout sur la planète. En fiction, les courts et moyens métrages présentaient plusieurs thèmes communs, dont la guerre et les différences entre…filles et garçons ! Notons parmi ceux-ci l’étonnant Le silence d’abord du Français Pierre Filmon, un plaidoyer aux accents oniriques contre les abus et manipulations faites aux enfants, filmé tout en nuances entre cruauté et solidarité par Philippe Van Leeuw, directeur photo pour Bruno Dumont et Alain Berliner.


Du côté des longs métrages, c’est Polleke de la Néerlandaise Ineke Houtman qui récolta le Camério du meilleur film ; cette démonstration fourre-tout sur la tolérance avait le principal défaut de vouloir ratisser trop large : la Polleke du titre, élevée par une mère monoparentale vivant une idylle avec son propre professeur après avoir largué son père biologique homosexuel, vit mal son affection pour son jeune voisin marocain auquel on a déjà promis la main d’une de ses cousines… Malgré quelques dialogues bien sentis, on nageait en plein « film à thèmes ».


Dans un registre plus dramatique, Capricciosa du Suédois Reza Bagher montrait une famille déchirée suite au décès de la mère et la rechute dans l’alcool du père. Si la trame se rapproche du récent Nobody Knows de Hirokazu Kore-eda, le film de Bagher accusa quelques redondances narratives qui venaient malheureusement miner la pertinence du propos et l’homogénéité des performances, surtout celle des enfants, particulièrement saisissantes.


Les plus agréables surprises venaient cette année du Japon avec deux films très différents mais fort réjouissants, surtout ce Salon de coiffure de Yoshino (Barber Yoshino) de Naoko Ogigami, remarqué à la Berlinale. Dans ce petit village où l’unique coiffeuse fait des coupes « champignon » à tous les hommes et enfants, l’arrivée d’un jeune garçon de la grande ville viendra bouleverser cette uniformité et bousculer les traditions. D’une grande simplicité, le film proposa un humour de bon goût institué par des personnages colorés et une mise en scène assurée, livrant ainsi un agréable moment de cinéma.


Quant au Nitaboh d’Akio Nishizawa, on avait droit à du grand art : cette animation classique et très épurée sur la survie d’un aveugle prodige du shamisen, instrument entre le luth et le banjo, est carrément saisissant de par son écriture très précise et une retenue émotionnelle aux antipodes du manga. Une excitante réussite à l’image de cette édition du Carrousel, un événement qui voit de plus en plus grand.


© 2007 Charles-Stéphane Roy