vendredi 1 juin 2007

Critique "Twin Sisters"

Twin Sisters
de Ben Sombogaart

2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


JOUEZ VIOLONS, TONNEZ CRÉCELLES

En souvenir des orphelines aux longs jupons, Twin Sisters manie le drame roturier à la sauce hollandaise. Tout pour avoir le moton.


Plus de trois millions de lecteurs allemands et néerlandais ont dévoré le roman "De Tweeling" depuis sa parution en 1993, attendris par le destin de sœurs séparées de force suite au décès de leurs parents durant la première moitié du 20e siècle. Sur fond de Seconde guerre mondiale, de déchirements filiaux et de retrouvailles amères, le récit de Tessa de Loo remua de douloureux souvenirs chez ses compatriotes et son adaptation au cinéma pris des allures de succès annoncé.


Ce qui arriva en 2002, après quoi l’arrière-garde de l’Académie hollywoodienne consentit à octroyer à Twin Sisters une nomination infortunée à l’Oscar du meilleur film de langue étrangère deux ans plus tard, en pleine déferlante Arcand. C’est qu’en matière de drames familiaux épiques, la Hollande sait faire, on se l’était fait rappeler en 1997 avec le dense et remuant Karakter (oscarisé, celui-là). Mais tâchons de demeurer vigilant et de ne pas tout mettre dans la même péniche : Twin Sisters, c’est du cinéma d’après-midi sur la véranda, pantoufles aux pieds, tasse de camomille à la main et mouchoirs à portée de. Avec sa classe vieillotte, voilà un film dans lequel on pleure sur son trente-six au-dessus de la porcelaine du dimanche, sans armes pour effrayer, sans méchant à maudire – tout ce qu’on nous donne à voir est nécessairement au service des lacrymales – bref, du Rémi sans famille pour les vieux jours.


Dès le début, ça déchire en grande : les jumelles Anna et Lotte passent entre les mains de parents éloignés et aboutissent chacune de leur côté dans des foyers inconnus ; la première nourrira les cochons allemands tandis que la seconde se remettra d’une pneumonie chez des intellectuels hollandais. Elles grandissent sans obtenir de nouvelles l’une de l’autre, mais comme les petites partagent des liens kinesthésiques, elles ressentent physiquement les drames de leur jumelle (elles seraient nées du côté de la frontière belge qu’on aurait plutôt dit : elles sont aware).


Passent les années et les obstacles jusqu’à leur première réunion ; devenues de jolies demoiselles en fleur, Anna et Lotte rattrapent le temps perdu et s’empressent d’échanger leurs vêtements et de dormir en cuiller. Mais voilà, Lotte est devenue progressiste et s’est fiancé à un Juif, alors qu’Anna s’est endoctrinée d’eugénisme avant de craquer pour un beau SS. Suivent bisbille et lettres de récrimination à grands renforts de « je n’ai plus de sœur ! ». Longtemps après que la guerre se soit terminée, la rancunière et l’idéaliste se recroisent dans un spa belge et tentent une dernière fois de se serrer dans leurs bras sans sortir les ongles.


Difficile de remanier une œuvre littéraire, encore plus si elle a connu une existence prospère : Twin Sisters se devait de plaire aux adorateurs du livre et peut-être plus encore aux occultes. Reste que ce type de classicisme triomphant éreinte, appliqué à la lettre par Ben Sombogaart, un réalisateur chevronné de films jeunesse peu préoccupé à illuminer d’un peu d’ordre et de nuances les revirements à relais de ce mélodrame exubérant.


© 2007 Charles-Stéphane Roy