vendredi 1 juin 2007

Critique "Machuca"

Machuca
de Andrés Wood
2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


CHILI ’73, L’AUTRE 11 SEPTEMBRE

Le Coup d’État vu de la cour d’école


Machuca, le troisième long métrage d’Andrés Wood, est un film que le Chili attendait depuis la chute d’Augusto Pinochet en 1990. 1 million de spectateurs sud-américains ont placé leurs pesos sur cette dramatisation d’un des changements de régime les plus sanglants de l’Histoire, racontée par un réalisateur qui a vécu en culottes courtes la chute de Salvator Allende. Au pays de Raoul Ruiz et Patricio Guzman, peu de cinéastes ont osé mettre à l’avant-plan l’insidieux fascisme petit bourgeois nourri par les discours politiques et la chasse aux communistes.


Machuca est l’un des Indiens boursiers du progressiste Père McEnroe à joindre les rangs d’un collège huppé, où il se lie d’amitié avec Gonzalo, timide rejeton des castes supérieures. Débute alors un compagnonnage insouciant de toute hiérarchie, au cours duquel le duo rousseauiste se mue en trio truffaldien au contact de la dégourdie Silvana, avec qui les garçons échangent discrètement leurs premiers baisers à l’ombre d’une Santiago anarchique. Puis l’Armée chilienne envahit La Moneda et y piétine toute démocratie; Machuca écope à cause de la couleur de sa peau, tandis qu’à deux pas de lui, Gonzalo s’en tire en montrant ses Adidas à un soldat affairé à bastonner de la plèbe… De ce renversement, Wood n’atténue aucune bestialité : un Père McEnroe engloutissant toutes les hosties de sa chapelle devant un parterre de gradés belligérants, des Indiens faméliques courant les rues pour bouffer des chiens errants, une finale à la Bloody Sunday


D’inspiration Louis Malle, Machuca ratisse plus large que l’habituel portrait d’adolescence sous occupation balistique et dénonce avec intelligence les racines de la haine la plus ordinaire qui soit, celle transmise par les parents dans le confort des foyers élitistes. Et qu’importe son exposition schématique et ses ralentis racoleurs : le dernier tiers du film est rien de moins que saisissant de corrélation psychologique, exposant dans toute sa cruauté ce mélange de raccourcis moraux et d’impuissance propres aux enfants contraints de sauver leur peau. Déconcertant.


© 2007 Charles-Stéphane Roy