vendredi 1 juin 2007

FFM 04 : premières œuvres

FFM 2004 : premières œuvres
2004
Paru dans la revue Séquences

Bancs d’essai


On dit souvent que le FFM présente des films que personne n’a entendu parler auparavant, et pour cause : le festival accorde annuellement une large place aux premières œuvres. Que l’on soit sensible à ces balbutiements demeure affaire de goût, mais aussi de temps : avec plus de 400 films disponibles sur seulement dix jours, le réflexe reste encore de se diriger prioritairement vers les titres plus connus, et ensuite – si les paupières tiennent toujours le coup – laisser la chance aux nouveaux talents.


On retrouvait cette année une soixantaine de longs métrages de fiction disséminés au travers de l’ensemble des sections (sauf en documentaire, ce qui est bien dommage), et c’est donc en apnée qu’il fallait organiser ses choix, souvent guidés par un strict intérêt envers le synopsis, ou, comme c’est trop souvent le cas du FFM, par le pays de production.


Prenons exemple sur le film Pear Ta Ma ‘On Maf (Les yeux de la terre), co-produit par Vilsoni Hereniko, originaire des Îles Fiji. Passé l’exotisme de la chose, il ne reste que bien peu à se mettre sous la dent, des erreurs de casting au scénario éculé… Au mieux, on peut généralement se fier sur les festivals qui ont jalonné l’itinéraire de certains titres, ou la récente appellation contrôlée « Choix des critiques de Variety », qui s’avéra étonnamment juste.


De ce corpus jaillît Chain de l’Américain Jem Cohen, un essai pluri genres qui élabore avec une forte audace la relation désincarnée entre l’Occidental moyen et l’urbanisme fonctionnel (plazza commerciales, motels, centres de congrès) ; on suit ainsi en peu de mots et énormément de lieux les parcours parallèles d’une itinérante et d’une directrice en voyage d’affaires. Malgré quelques scènes plus personnelles et l’éloquence de son montage, Chain resta éminemment trop expérimental pour la horde de spectateurs qui rebroussa chemin durant la projection, peut-être sous l’impression d’avoir été momentanément téléportée au FCMM tant le film commandait une résilience spectatorielle certaine.


Una de Dos (Une sur deux) de Alejo Hernán Taube table quant à lui sur la récente chute de l’économie argentine pour constituer le tableau éclaté d’un pays sans foi ni loi, à la merci de la révolte des commerçants et des chômeurs. Entre les émeutes et quelques idylles inachevées, l’authenticité du ton, la dégaine débonnaire des comédiens, l’entrechoquement d’images d’archives télé aux prises de caméra à l’épaule puis l’approximation esthétique générale confèrent à l’ensemble du rythme et un cachet qui, à défaut d’être prenants, possèdent le large mérite de soulever avec justesse la possible mise à plat des centres et périphéries sociales à la suite d’un soudain dérèglement économique.


Pour peut-être pallier à l’absence du récipiendaire de la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes, le FFM a mis la main sur les deux mentions spéciales à ce prix, dont Lu Cheng (Passages) du Chinois Yang Chao – à ne pas confondre avec son compatriote Wang Chao, auteur en 2001 du solide Orphelin d’Anyang. Des adolescents provinciaux remettent en cause leurs engagements académiques en prenant la route vers la grande ville où ils investissent l’argent de leurs études dans une culture d’improbables champignons magiques ! En dépit de quelques redondances dramatiques, voilà une intéressante réflexion sur les déambulements de la 6e génération, à mi-chemin entre Tsai Ming-liang et Theo Angelopoulos, présentant une Chine rurale splendidement cadrée en plans embrumés quasi fixes, peuplée de trains, de champs abandonnés et de brigands de petit chemin.


L’autre « mentionné », le beaucoup plus solide Khab-E Talkh (Sommeil amer) de Mohsen Amiryoussefi, est un film iranien comme on n’en avait plus vu depuis des lustres (… disons depuis Un temps pour l’ivresse des chevaux, dernière Caméra d’Or iranienne de 2000). Oubliez les tableaux culturels faussement naïfs et les personnages d’enfants aux quêtes à forte connotation politique : le film de cet ex-mathématicien est vivifiant, surprenant d’humour et formellement stimulant. On y assiste au lavage des morts, à la correction d’employés en plein milieu d’une entrevue en direct à la télévision, à l’absorption d’opium, à un combat avec l'ange Ezraël en passant d’une approche documentaire à un délire fictif… On est loin du clan Makmalbaf, et c’est tant mieux ! Décidément l’une des meilleures prises du festival.


En compétition mondiale, les programmateurs ont semblé préférer les films d’auteurs chevronnés en n’accueillant timidement que trois films sur les 21 sélectionnés. Sans cursus blindé, quelques cinéastes ont plutôt misé sur des acteurs connus du public. Dans Le rôle de sa vie, François Favrat (et ses producteurs, on s’en doute) a confié les rôles du tandem principal à Karin Viard et Agnès Jaoui, qui portent largement ce mélodrame fort honnête sur leurs menues épaules. C’est ainsi que le spectateur assiste à un faux duel (dont le climax n’arrivera jamais) entre une actrice de premier plan (Jaoui) et sa nouvelle secrétaire personnelle (Viard) ; à ce jeu classique d’opposition de caractères se substituera par soubresauts une timide étude sur le rapport de domination entre les tenants de la célébrité et leur cour, immédiate ou désirée. L’humiliation n’est jamais loin derrière la réplique assassine ou le regard vengeur que s’échangent, selon différents registres, la mante religieuse et sa dévote. Et si la vraisemblance du récit s’embourbe bien sur quelques raccourcis psychologiques, le film trouve sa justesse lorsqu’il ose s’aventurer hors du cinéma en s’appliquant à apposer l’envie et la dépossession sur quelques visages.


Tout aussi classique mais moins schématique fut le mélo familial Around the Bend de l’Américain Jordan Roberts, autour d’une quête intergénérationnelle. Jamais trop loin de James L. Brooks, le film dresse avec densité et poids un constat peu flatteur des relations père-fils à l’aide d’un combo du tonnerre : Michael Caine, Christopher Walken – offrant sa meilleure performance depuis Catch Me if you Can – et le sous-employé Josh Lucas, tous provisoirement réformés de leur cabotinage routinier. À la fois conte de l’irresponsabilité patriarcale ordinaire et infopub longue durée pour les barils transgéniques du Colonel Sanders, cette comédie dramatique simpliste mais efficace relate les retrouvailles entre quatre générations tout juste avant que l’aîné ne passe l’aile de poulet à gauche. L’humour vient bien salutairement refroidir les ardeurs moralisatrices de l’ensemble par le biais de dialogues concis soustraits au cynisme propre à ce type d’entreprise des douze dernières années. Absent aux projections montréalaises, Walken recevra donc par Fedex le Prix d’interprétation masculine, récompense qu’on aurait logiquement dû décerner aussi à ses deux autres comparses.


Un dernier mot sur le cynisme décrit plus haut. On s’en est servi dès la fin des années 1980 pour dénoncer tout et son contraire, bien sûr, mais aussi pour expier nos cas de conscience et notre manque d’appartenance au moment où tout discours devenait caduc. Malicieusement, le cinéaste Marcus Mittermeier s’en est servi, lui, à de plus « nobles » fins : faire triompher la morale, obtenir justice, rendre le monde meilleur, quoi ! Et ça donne Muxmäuschenstill, le demi-frère cadet de C’est arrivé près de chez vous (12 ans et bien des Tarantino se sont déjà succédés depuis cette incontournable petite bombe). Mux est un Torquemada de l’an 2000 : ce diplômé de philosophie flanqué d’un caméraman en réinsertion sociale et d’une foi on ne peut moins déontologique casse des petits malfrats qui s’adonnent au vol, à la pédophilie ou aux simples excès de vitesse. Après avoir filmé leurs délits, il se permet de taxer ces prédateurs devenus proies en échange de son silence. En bon entrepreneur, il en vient à se payer des délateurs de tout acabit et ainsi multiplier ses Surprises, sur prises déloyales afin de libérer Berlin de toute plèbe civique.


« Aujourd’hui Sodome, demain l’Europe ! » semble penser Mux, disciple fascisant d’un Nouvel Ordre Moral régit par un improbable manifeste de justice sociale où règne le principe selon lequel le crime (ou plutôt le criminel) paie. Saluons immédiatement Jan Henrik Stahlberg, frère spirituel outre-Rhin de Benoît Poelvoorde dans le rôle de ce prédicateur morbide et scénariste de ce pamphlet aussi bien élaboré que mal filmé. Mais, à défaut de maîtriser le format, un bon premier film doit après tout révéler une bonne histoire.


© 2007 Charles-Stéphane Roy