vendredi 1 juin 2007

Critique "The Merchant of Venice"

The Merchant of Venice
de Michael Radford
2005

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


Manque de peau

Ou quand l'esprit est bien transposé, la chair devient faible


Adapter Shakespeare au cinéma est un pari forcément casse-gueule, qu’on se la joue puriste ou profane. Car si la cruauté et la quête de pouvoir propres à son auteur traversent aisément les époques et les modes, autant les tirades que les cours amoureuses récurrentes dans l’œuvre du grand Will accusent une théâtralité bien peu sexy à une époque qui n’en a que pour les one-liners et la drague à numéros. À en croire certains érudits, l’acte même d’adapter, que l’on soit Roman Polanski ou Baz Luhrmann, serait un sacrilège !


Le modéré Michael Radford (1984, Il Postino), épris d’adaptations littéraires, a surtout misé sur la présence de la bête de vers qu’est Al Pacino pour s’attaquer au drame de l’usurier Shylock, personnage emblématique de la bigoterie antisémite sévissant déjà au 16e siècle. Tournée en décors naturels, cette 17e version de la pièce au grand écran témoigne d’un scrupuleux souci d’authenticité des mœurs de l’époque, de la signification de certains costumes (les couvre-chefs rouges que devaient arborer les Juifs en public, les corsets des prostituées dénudant la poitrine afin de prouver leur féminité) jusqu’au rappel en lever de rideau de la persécution des Juifs.


Grâce à ce recul historique, l’entêtement de Shylock à réclamer la livre de chair promise par Antonio au lieu du remboursement des 3000 ducats devient ainsi légitimé par l’honneur plutôt que sa légendaire avarice. Passée cette astuce morale, le film s’embourbe rapidement dans une divergence de tons (comédie romantique + fable sociale + pièce historique + drame judiciaire = ouf !) et la disparité des acteurs de soutien, véritables faire-valoirs d’un Pacino qui se la coule douce entre deux tirades livrées dans un improbable Hébreux sorti du Bronx. Sinon, 138 minutes de champs / contre-champs bien cordés n’est définitivement pas la manière la plus excitante d’encaisser une telle procession iambique, déclamée à demi-voix de surcroît. Sans tripes ni sang, le plaisir n’en est que plus frugal encore.


© 2007 Charles-Stéphane Roy