jeudi 8 janvier 2009

NFL Films: 46 ans de fièvre du dimanche après-midi


Paru dans la revue Séquences
2008

Les dieux du stade

Avec l’automne revient la grande tradition américaine du football de la NFL. Véritable religion chez nos voisins du Sud, chaque saison culmine sur la présentation de la finale du Super Bowl, l’un des événements les plus regardés dans le monde. Afin d’assurer la pérennité des dynasties de ses franchises et l’héritage de ses nombreuses vedettes, la compagnie NFL Films a cumulé depuis plus de 45 ans un fonds d’archive inégalé dans le sport professionnel, en plus d’avoir contribué à révolutionner à plusieurs égards la télévision aux Etats-Unis.

Fondé en 1962 par Ed Sabol, un vendeur de manteaux de Philadelphie âgé de 48 ans, Blair Motion Pictures devint NFL Films deux ans plus tard après que Sabol eut joué le tout pour le tout pour obtenir les droits exclusifs de captation du 1er Super Bowl. Deux ans plus tard, la compagnie est la première à capter les propos d’un entraîneur-chef et de ses joueurs durant une partie à l’aide de microphones miniatures. L’ambition de Sabol était simple et strictement motivée par son amour inconditionnel de ce sport : montrer le football sur pellicule comme si c’était un drame hollywoodiens. « Nous sommes des historiens, des raconteurs, des fabricants de mythes », reconnaîtra-t-il plus tard.

Faut-il le souligner, l’ambition visionnaire de la ligue de football à contrôler et glorifier son image pour mieux la revendre à toutes les chaînes diffusant des parties ou des comptes-rendu était un coup de génie en soi, damant au passage le pion aux autres ligues professionnelles. Les innovations allaient s’enchaîner rapidement alors que NFL Films développe son style inédit dans le sport télévisé, récupérant les méthodes du cinéma direct – Sabol était un admirateur de D.A. Pennebecker – pour dynamiser ses captations en laissant toute la place au son direct et au montage multicaméra.

En plus d’avoir inventé les bloopers, les reprises en angles inversés et le long métrage sportif entièrement tourné en Cinémascope (100 Yards Universe, 1995), NFL Films a aussi lancé la carrière d’illustres artisans tels que le narrateur baryton John Facenda – surnommé « The Voice of God » par ses fidèles – et le compositeur Sam Spence, reconnu pour son style inimitable emprunté aux marches militaires et aux orchestrations inspirantes à la Aaron Copland. Ceux-ci collaboreront à plus de 700 films originaux en près de 30 ans. D’autres illustres invités comme Roy Scheider, James Coburn, Gary Busey et même Orson Welles ont prêté ponctuellement leur voix aux productions de l’entreprise.

LE STYLE
Plus qu’une simple boîte de service désignée pour promouvoir une discipline et archiver des exploits, NFL Films a élevé le documentaire sportif au rang d’œuvre à part entière. Mieux encore, la signature de la compagnie (surnommée « Tight on the Spiral », en référence au mouvement du ballon lancé par le quart-arrière), mélange de 16mm granuleux, de super-ralentis, de proximité avec l’action et de musique originale grandiloquente, a contribué largement à mythifier le football au rang des grands événements de la vie sociale américaine, nourrissant nombre de légendes au passage.

Utilisant à fond les métaphores entre ce sport et les guerres de tranchées, l’entreprise de Sabol a rapidement compris qu’en tirant profit des conditions météorologiques dramatiques durant certaines parties, de l’esprit familial et religieux régnant dans chaque clan, du culte des uniformes et de la personnification de chaque stade, le football supplanterait aisément le baseball comme le sport national favori des Américains, une prédiction qui n’a pas tardé à se concrétiser une dizaine d’années après ses premiers tours de manivelle. Dans leur film Autumn Ritual (1986), certains observateurs comme Allen Ginsberg ou Philip Glass n’hésitent pas à souligner les emprunts de l’équipe de Sabol au ballet, à l’opéra et au télé évangélisme dans la stylisation de ce sport.

LA MÉTHODE
Encore aujourd’hui, la méthode NFL Films a été copiée par nombre d’équipes de télévision affectées à divers sports, dont certaines institutions comme "Hockey Night in Canada". À chaque partie du calendrier, la boîte mandate deux directeurs photo pour capter les moindres faits des joueurs, leur laissant une liberté peu commune dans leurs choix artistiques – aucun réalisateur ne supervise leur travail – et plus de 12 000 pieds de pellicule à leur disposition.

Pas moins de 28 directeurs photos sont en service lors du Super Bowl. 1 000 milles de pellicules sont ainsi imprimées annuellement, faisant de NFL Films le client le plus lucratif de Kodak, devant même les studios hollywoodiens! Et on ne parle même pas des incalculables drames sportifs filmés à la manière des Sabol…

Au-delà des considérations empiriques, NFL Films a maintenu son devoir de s’intéresser autant aux jeux sur le terrain qu’aux réactions des entraîneurs, des joueurs et même du public à l’aide de trames sonores élaborées avec des micros grands comme la moitié d’un 10 cents et d’un transmetteur de huit onces posés sur les épaulettes des joueurs ou sur le chandail de l’entraîneur et des arbitres, une technique a lui valu 13 des 82 Prix Emmy récoltés au fil des saisons.

LES PROUESSES
9 045 captations de football plus tard, les services de NFL Films ont été réquisitionnés pour les Séries mondiales de baseball, la finale de la Coupe Stanley, le US Open, le Derby du Kentucky, le tournoi de Wimbledon et le Masters de la PGA, parmi d’autres, portant ainsi à 4 000 le nombre d’heures de programmation produite annuellement. Son service d’archives compte pas moins de 100 millions de pieds de pellicule 16mm emmagasinée dans plus de 50 000 boîtes, dont la captation du match Princeton vs. Rutgers, filmée par Thomas Edison lui-même; la première captation avec son synchro datant de 1925 et la première couverture d’une partie en couleur (1934).

L’INFLUENCE
Utilisant du matériel de pointe, les caméramans de NFL Films ont développé plusieurs habiletés que leurs confrères des chaînes de télévision, confinés à des équipements plus statiques, n’ont réussi à imiter qu’après coup. Oliver Stone, qui a lui-même emprunté le style de la maison durant le tournage de son drame sportif Any Given Sunday, affirmait à son tour que NFL Films ne devait pas être sous-estimé. « Il demeure particulièrement difficile de suivre à la caméra un ballon lancé dans les airs sur toute sa course avec la bonne focale. C’est comme tirer sur un animal en mouvement; on doit pouvoir deviner où il s’en ira. En ce qui me concerne, filmer une partie de football est ni plus ni moins une forme d’art. »

PÉNALITÉS
Certains ont pu reprocher à la boîte sa griffe impériale et pompeuse, son manque de perspective vu sa relation privilégiée avec la ligue et les joueurs, sa vision romantique d’un sport considéré comme macho par plusieurs. Depuis Leni Riefenstahl et son Triomphe de la volonté 30 ans avant les débuts de la compagnie américaine, on peut croire qu’effectivement, le sport appelle à l’unité nationale et sa représentation vise autant à consolider son emprise sur les masses qu’à assurer la pérennité financière de ses dirigeants.

« NFL Films est la plus efficace machine de propagande de l’histoire du corporatisme américain », avait même lancé Sports Illustrated, autre institution de la vie sportive professionnelle nord-américaine. Afin de clouer le bec à ses détracteurs, Sabol fils a lancé la série « Football Follies », amalgame de bêtisier, de chutes inutilisées et de narrations loufoques, n’hésitant pas à autoparodier leur propre image.

Le fait demeure que NFL Films a si bien établi sa marque qu’elle arrive à l’imposer depuis quelques années dans d’autres sphères d’activités, comme la publicité, le vidéoclip et le long métrage. Incidemment, Ed Sabol, un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, a réussi en moins d’un demi-siècle à faire de sa compagnie la productrice du second sujet le plus filmé sur la planète après le conflit 1939-45, tous médiums confondus.

© 2008 Charles-Stéphane Roy