jeudi 8 janvier 2009

Critique "Somebody Up There Likes Me"


SOMEBODY UP THERE LIKES ME
de Robert Wise
Paru dans la revue Séquences
2008

Rocky avant Balboa

20 ans avant que Sylvester Stallone ne vienne redonner au ring ses lettres de noblesse sur grand écran, un autre Rocky, Graziano celui-là, électrisait les foules avec son style nonchalant et sa réputation d’ex-petit voyou. Le film que le grand Robert Wise tira de son autobiographie, même s’il fut marqué par la fatalité, continue de s’imposer comme l’un des meilleurs drames sportifs jamais réalisés.

Somebody Up There Likes Me fut un objet délicat pour Hollywood avant même sa sortie au milieu des années 1950. Tiré d’un roman sur l’ex-champion du monde des poids moyens, le film devait être le nouveau tremplin de James Dean, fraîchement sorti de Giant, avant que celui-ci ne s’enlève la vie au volant de sa voiture. MGM et Wise se sont alors tournés vers le tout jeune Paul Newman, qui avait surtout fait sa marque à la télévision jusque là, pour incarner l’impétueux boxeur.

Pier Angeli et Sal Mineo, proches de Dean, avaient déjà accepté de jouer dans le film avant l’accident mortel de celui-ci, et ont tenté de briser leur contrat pour honorer leur ami, mais la MGM leur força la main et usa de son influence par la suite pour leur faire payer ce soubresaut en faisant d’eux des parias à Hollywood.

Newman se servit de cette visibilité inouïe pour asseoir son rôle mythique de dilettante à grande gueule, sans attache et habitué à se retrouver dans le trouble, un personnage qui connu son apogée dans Hud, Harper, Cool Hand Luke et Butch Cassidy and the Sundance Kid. Graziano, fils d’un chômeur ivrogne et canaille en devenir, était tout indiqué pour lui : évoluant entre la maison de redressement, l’armée et la prison, Graziano, plus habile avec ses poings que son jugement, s’est mis à dos avec une effronterie stupéfiante nombre d’individus plus riches ou puissants que lui avant d’atterrir sur un ring et utiliser à bon escient son jab pour devenir l’héros du peuple.

« Don't worry 'bout a thing » est le leitmotiv que Graziano balance durant tout le film à son entourage, sa mère en premier, convaincu qu’il pourrait vivre plus librement si personne ne se souciait de lui. Agile mais allergique à l’autorité, il partage plusieurs traits avec Jake La Motta, le ‘taureau enragé’ personnifié par Robert de Niro dans le film de Martin Scorsese, dont celui d’avoir survécu aux bas-fonds new-yorkais.

Plus qu’un simple portrait d’une ascension abracadabrante, SUTLM constitue un tableau probant des coulisses du monde de la boxe des années 1940, des réseaux de combats mineurs, des démêlés avec la toute-puissante commission de boxe de la ville et de la compétition entre les scènes de New York et Chicago, tout comme la réalité des quartiers pauvres de la métropole, où les voyous n’avaient pas l’habitude d’engendrer des champions.

Comme dans plusieurs films d’autres genres sortis dans les années 1950, les personnages féminins tiennent aussi des rôles bienveillants avec une franchise désarmante, surtout dans le cas de Norma, la fille rangée qui acceptera de marier Rocky et le soutenir d’une main de fer en dépit du caractère bouillant de son étalon.

Plus de 50 ans après sa sortie, SUTLM surprend encore par la qualité de son exécution, des chorégraphies des pickpockets détroussant leur victime aux scènes de combat, présageant ainsi le West Side Story que réalisera le même Wise cinq ans plus tard. Le crédit revient à part égales à la direction photo éblouissante de Joseph Ruttenberg, donnant à voir les contrastes nocturnes parmi les plus saisissants de la fin de l’ère du noir et blanc. Ruttenberg procurera d’ailleurs au film l’un de ses deux Oscars, l’autre étant attribué aux décorateurs et directeurs artistiques pour la richesse de leur environnement.

Le point culminant du film est sans surprise le combat entre Graziano et Tony Zale, interprété avec prestance par l’intimidant Courtland Shepard, qui réunit durant de longues minutes les meilleurs éléments de la production, dont la prestation endiablée de Newman, la précision des mouvements prodiguée par le conseiller technique Johnny Indrisano, l’isolation dramatique entre les boxeurs et le public par les réflecteurs de l’aréna, et enfin, la direction virile de Wise.

La présence furtive de Robert Loggia et Steve MacQueen, autre phœnix destiné à perdre la vie à cause de la vitesse, procure d’autant plus à SUTLM une aura de projet maudit et mythique à la fois.

© 2008 Charles-Stéphane Roy