mercredi 7 janvier 2009

Critique "My Magic"


My Magic
de Eric Khoo
Paru dans la revue Séquences
2008

Singapour, ma douleur

Bien connu des fervents du FFM, le cinéaste Eric Khoo est réapparu à Montréal fort d’une première sélection en compétition officielle au Festival de Cannes en mai dernier avec son plus récent film, My Magic. Accusant à peine plus de 75 minutes, celui-ci fut tourné en vidéo en neuf jours et aligne des non-professionnels, ce qui est mince et à la fois suffisant pour créer un univers entier.

Le réalisateur de Be With Me (2005) et 12 Storeys (1997) ne s’est pas empêtré avec l’inspiration et les gestations interminables, alors que l’idée de son dernier film lui est apparue en fréquentant le magicien tamoul Bosco Francis, un chevelu à la silhouette bouddhique, nostalgique de son Inde natale après s’être établi à Singapour. Ce déracinement, jumelé au désir de raconter une histoire entre un père et son fils et la dérive au cœur du roman « The Road » de Cormac McCarthy, furent à l’origine de My Magic, récit circoncit entre la fiction, le documentaire, le portrait et le fantastique.

Aussi rares soient les films de Singapour sur nos écrans, aussi proportionnel soit le dépaysement qu’ils nous procurent. Qu’un magicien masochiste soit au centre d’un d’entre eux devient d’autant plus déconcertant, un pitch moins Fantasiesque qu’il ne paraît. C’est le cas de Francis, ancienne gloire des music-halls indiens du temps de son mariage heureux avec son assistante, devenue un obèse alcoolique se traînant jusqu’à plus soif dans les ruelles sombres de Singapour, négligeant l’éducation de son fils Rajr, qui alimente sa culpabilité en le confrontant à l’échec de sa condition.

Serveur dans une boîte de nuit, Francis finit ses soirées en démontrant sa résistance à la douleur aux clients de son patron, question de rentabiliser sa résistance à la souffrance pour payer les études de son fils et regagner son estime. Alors que marcher sur du verre, avaler du feu ou se percer la langue reste un jeu d’enfant pour lui, Francis se résigne à accepter l’étrange marché de gangsters du coin, qui lui promettent d’importantes sommes pour le torturer jusqu’à ce qu’il s’effondre. Ce pacte sordide se termine mal pour Francis, pris à se planquer à l’ombre avec Rajr et lui expédier ses confessions avec ses dernières forces.

En dépit de plusieurs scènes éprouvantes et d’une cinématographie quasi amateur, My Magic possède visiblement plus de tendresse et de cœur que la plupart des romances à grand déploiement. Et pour cause : le projet nécessita l’implication des proches du cinéaste, de la trame sonore composée par son fils de 9 ans, à la recherche de capitaux confiée à sa femme.

Au centre de ce chemin de croix poisseux et fanfaronesque trône Bosco Francis, bête de cirque mi-lutteur, mi-enfant, une force de la nature dont Khoo a su tirer à son avantage toute l’humilité et la fragilité dont il est capable. Tout le film fut d’ailleurs construit sur cette propension à faire émerger l’émotion du grotesque; à preuve, la scène d’ouverture, un malaise de 20 minutes durant lesquelles Francis noie son désarroi avec une douzaine de verres de whisky, un exploit en soi, pathétique au demeurant.

On doute des chances de My Magic de se rendre jusqu’au prochain gala des Oscars, lui qui fut sélectionné par les autorités singapouriennes pour représenter leur nation dans la catégorie du meilleur film de langue étrangère, pour toutes les raisons évoquées en introduction. Bien qu’il conserve toujours la bonne distance pour conserver l’humanité des personnages de ce qui demeure un freak-show, Khoo s’en remet un peu trop à la forme du mélo pour compenser une paresse certaine au niveau des dialogues et du rythme, donnant l’impression d’avoir précipité l’exécution de l’ensemble sur la foi d’une prémisse impayable.

Il serait toutefois dommage de passer à côté d’un film aussi inusité et bon enfant, pleinement conscient de ses défauts, sans hésitation aucune à exposer crûment ses limites pour mieux faire ressortir l’empêtrement émotif des personnages, quitte à fuir ses dettes envers la réalité et basculer dans la fantaisie, le seul refuge possible pour espérer panser les chagrins à la peau dure.

© 2008 Charles-Stéphane Roy