jeudi 9 octobre 2008

Paul Newman (1925-2008)


Blue Eyes en dix répliques
2008
Paru dans la revue Séquences

« ACTING ISN'T REALLY A CREATIVE PROFESSION. IT'S AN INTERPRETATIVE ONE. »
Le 26 septembre dernier est décédé Paul Newman. Connu par certains comme le modèle même de la vedette dilettante, par d’autres pour son rôle d’immortel rebelle au regard perçant, Newman les yeux bleus était devenu discret par son âge tardif. L’annonce de sa disparition l’a ramené devant les projecteurs, une réaction réjouissante et dûment méritée.

« THE EMBARRASSING THING IS THAT THE SALAD DRESSING IS OUTGROSSING MY FILMS. »
Fervent démocrate, businessman consumé (de la vinaigrette à la sauce à spaghetti maison en passant par l’exploitation viticole), philanthrope dévoué à la cause des enfants malades, des toxicomanes et des minorités sexuelles, coureur de Nascar téméraire, Newman n’était ni un paradoxe, et encore moins un être volatil : il a volontairement tout embrassé, parfaitement conscient que ses aventures buissonnières avec le cinéma, qui l’a élevé au rang de figure emblématique de la génération Kennedy, lui attirerait autant de critiques que d’incrédulité. Il est en ce sens le Bob Dylan ou le Neil Young du grand écran, une personnalité si affirmée et contestataire qu’elle s’amuse à défier les âges et les modes, quitte à s’affranchir ses fans les plus fidèles.

Le timing et la dégaine sont indissociables de son mythe. Son personnage de dilettante désabusée, il l’avait probablement cultivé bien avant d’être récupéré par la caméra. On doit considérer sa technique, sorte de mélange de désintéressement viril et de chien fou, tout aussi redevable à l’Actor's Studio de Lee Strasberg que celle de Brando; celui qui, avec James Dean et Steve MacQueen – d’autres amoureux de vitesse, il devra pourtant vivre dans l’ombre toute sa vie, sinon subir nombre comparaisons désavantageuses.

À l’époque du Wild One et du Rebelle sans cause, Newman peaufine la singularité de son caractère, un bum sans attache, au moment même où Hollywood se mis à glorifier les marginaux. Seulement, le natif de Shaker Heights, Ohio, alla à contresens du mouvement communautariste et rassembleur des campus contestataires et des fratries hippies de la fin des années 1960. Sa réputation publique de grande gueule antiautoritaire s’avéra tout aussi aux antipodes de son train de vie, alors qu’il s’est consacré à ses trois enfants au moment où sa carrière prenait son envol.

Il demeure, avec Robert Redford, Clint Eastwood, l’un des acteurs-réalisateurs-entrepreneurs les plus éprouvés du dernier âge d’or créatif hollywoodien, tout en faisant bande à part pour s’adonner à ses autres passions. Voilà l’authentique modèle individualiste américain (de gauche, manifestement), doublé d’un charisme peut-être plus emballant encore que son talent brut.

« DON’T WORRY ‘BOUT A THING »
Pilote et sportif déçu – il est daltonien et se fera blesser durant la Guerre du Pacifique – Newman se tourne vers le théâtre au milieu des années 1950. Ses débuts au cinéma passent inaperçus jusqu’à sa rencontre avec Robert Wise, qui lancera son personnage de dur attachant et indomptable avec Somebody Up There Likes Me (1956). Suivront le trio The Long, Hot Summer de Martin Ritt (tourné avec sa partenaire Joanne Woodward, qu’il a connu sur les planches et avec qui il partagera sa vie jusqu’à la fin), The Left Handed Gun de Arthur Penn et Cat on a Hot Tin Roof avec Elizabeth Taylor, qui mettent la table pour son ascension fulgurante durant les années 1960.

« A 25% SLICE OF SOMETHING BIG IS BETTER THAN A 100% SLICE OF NOTHING »
Newman peaufine son personnage de voyou au cœur tendre dès 1961 dans le célèbre The Hustler de Robert Rossen, et prouve qu’il peut confronter sans gêne des géants du cinéma comme Jackie Gleason et George C. Scott. Bien que le style ait encore à voir avec le film noir, le ton caustique et l’approche quasi documentaire confèrent au film une aura définitivement moderne selon les standards de l’époque, et sa prémisse présage un autre grand film d’arnaqueurs, The Sting.

«I USED TO BE A SHERIFF UNTIL I PASSED MY LITERACY TEST»
Harper de Jack Smight (1966) donne un congé au personnage de loose cannon qu’a stylisé Newman pour lui permettre de propulser le film de détective privé dans l’ironie et la densité psychologique, tout en peinturant dans le coin les élites californiennes. Il s’agit de la première adaptation de l’auteur canadien Ross Macdonald dans laquelle joue Newman, neuf ans avant The Drowning Pool, la suite des mésaventures de Harper.

« WHAT WE'VE GOT HERE IS FAILURE TO COMMUNICATE »
Après une rencontre ratée avec Alfred Hitchcock (Torn Curtain, 1966), Newman s’approprie le rôle de sa vie dans Cool Hand Luke de Stuart Rosenberg, presque fait sur mesure pour lui. Luc la main froide personnifie plus que quiconque la dilettante avec une attitude qui frôle l’inconscience, sinon une relation masochiste avec la vie.

L’Oscar lui échappera étonnamment, tandis que son partenaire George Kennedy rafle le seul de sa carrière. Cool Hand Luke devient la maquette du film de loner qui fera les choux gras d’innombrables légendes de la décade suivante, de Dennis Hopper à Milos Forman – One Flew Over the Cuckoo’s Nest en est presque un remake – en passant par Hal Ashby et Bob Rafelson.

« MY, WE SEEM TO BE A LITTLE SHORT ON BROTHERLY LOVE ROUND HERE »
En dépit de sa structure relâchée et de sa réalisation sommaire – pour un western sorti tout de suite après Once Upon a Time in the West, rappelons-le – Butch Cassidy and the Sundance Kid cimente l’amitié entre Newman et l’autre golden boy du Nouvel Hollywood, Robert Redford, ainsi qu’avec Roy Georges Hill, avec qui il travaillera sur deux autres titres marquants de l’époque, le sus-nommé The Sting et Slap Shot.

L’interprétation résolument relaxe des deux icônes met surtout en valeur le riche scénario de William Goldman, LE scénariste des années 1970 (Stepford Wives, All the President's Men, Marathon Man, A Bridge Too Far, c’est de lui) avec Robert Towne. Ce faux western cimente le potentiel commercial de Newman et inspirera le concept du duo dépareillé des comédies d’action des années 1980.

« HEY HANRAHAN! SUZANNE S**** P****! SHE'S A DYKE! I KNOW! SHE'S A LESBIAN, A LESBIAN! »
Bien qu’il ait collaboré après coup avec des grands comme John Huston, Robert Altman, Sydney Pollack et Sidney Lumet, c’est son rôle de 'Reg' Dunlop dans Slap Shot qui scella sa contribution aux années 1970. La version québécoise, d’une vulgarité toujours inégalée, est néanmoins fidèle à la version originale. Que Newman participe à ce divertissement d’une inélégance assumée avait tout du suicide commercial ; qu’il ait enchaîné avec le bergmanesque Quintet (tourné à Montréal le fut tout autant. Qu’on soit pour ou contre, Slap Shot a, lui aussi, engendré d’innombrables avortons plus mal élevés les uns que les autres, un legs dont Newman a gardé profil bas par la suite.

« WHEN YOU'RE DEAD, YOU STAY DEAD »
Après une décennie peu marquante hormis son Oscar mérité pour The Colour of Money de Martin Scorsese, Newman retrouve la forme sous la poigne de deux jeunes dévergondés de Minneapolis. The Hudsucker Proxy, s’il est l’un des films les plus mal-aimés des frères Coen (aidés ici par leur vieil ami Sam Raimi), constitue un hommage aux comédies screwball des années 1930 qui, même si l’histoire est mise au pas par le maniérisme stylistique, procure à l’icône un air ravigotant, tout juste à temps pour Nobody’s Fool de Robert Benton, une chronique d’arrière-pays qui valu à Newman l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin.

Newman participera par la suite à une dizaine d’autres productions, dont le film d’animation Cars il y a deux ans. Avec lui disparaît une personnalité hors du commun et inimitable dans le cinéma américain, qui n’en a que pour l’ironie et la surconscience de l’acteur.

Le mot de la fin lui revient d’emblée et manifeste toute sa désinvolture, même face à la mort :

« I PICTURE MY EPITAPH: "HERE LIES PAUL NEWMAN, WHO DIED A FAILURE BECAUSE HIS EYES TURNED BROWN". »

© 2008 Charles-Stéphane Roy