mardi 29 janvier 2008

Locarno 07: compétition internationale

60e Festival de Locarno
2007
Paru dans la revue Séquences


Petites perles, fonds vaseux et courants froids


Les riverains du Lac Majeur mêlent depuis plus de 60 ans paillettes et expérimentations à chaque été lors du Festival de Locarno, premier événement cinéma en Suisse. Qualifié de « plus grand des petits festivals » sur le circuit, la manifestation dirigée pour une 2e édition par Frédéric Maire doit composer avec des atouts météo inversement ingrats à sa case horaire; s’il fait la joie des festivaliers tentés par une baignade entre deux projections nocturnes sur la Piazza Grande, place publique pouvant accueillir environ 6 000 cinéphiles (à 20 CHF par tête de pipe, encore faut-il le préciser), Locarno voit sa programmation minée par l’effet étau causé par Cannes, conclu deux mois auparavant, et Venise, qui démarre deux semaines plus tard.


Le dilemme locarnien réside également dans son désir de glamour propre aux cités balnéaires, sa volonté d’offrir la seule vitrine d’importance au cinéma suisse aux délégués étrangers et son appétit pour les primeurs. L’agencement de ces ambitions doit sa part à la disponibilité des films, éternel talon d’Achille des événements de cette taille. Le capital de sympathie joue donc pour beaucoup dans le ralliement des grands maîtres, dont les anciens lauréats, qu’on avait invité en Suisse prendre part à « Retour à Locarno », une initiative soulignant les films ayant fait marque au fil des ans et établi le festival comme un tremplin pour des signatures devenues incontournables, comme celles de Mike Leigh, Gaston Kaboré, Fredi M. Murer, Marco Bellocchio, Claude Chabrol, Raúl Ruiz et Hou Hsiao-hsien, dont on a remis un Léopard d’honneur cette année.


La Piazza Grande, au cœur des activités helvétiques, témoigne de la démocratisation du festival; libéré des salles, les célébrations ponctuant l’événement sont tenues à la belle étoile pour le grand public, plutôt que devant le parterre blasé d’un cercle VIP. Les citoyens viennent donc en grand nombre y faire la fête, attirés par les têtes d’affiche et les avant-premières nationales de films porteurs, contrairement aux fonds de tiroir des projections en plein air à la Place des Arts lors du FFM.


Locarno avait légèrement réorganisé ses sections cette année, laissant encore plus de latitude à son directeur, qui, après deux ans, fait de plus en plus sentir sa présence. La compétition vidéo a cédé sa place à la compétition Cinéastes du présent, abolissant du même coup une ségrégation obsolète des formats. Ici et ailleurs, empruntée au titre d’un film de Jean-Luc Godard, personnifie une section hors-concours peu convaincante, dont faisait partie à juste titre «La capture» de Carole Laure. Le cinéma expérimental, l’une des mamelles réclamées du festival, se déploie quant à lui dans la section Play Foward, tandis que la cellule suisse de la Fipresci organisait à nouveau la Semaine de la critique, dédiée au documentaire d’auteur.


La sélection globale de Locarno fut le fruit de compromis artistiques entre des comédies grand public, des premières œuvres faussement provocantes et quelques noms établis refusés aux grands rendez-vous annuels. Il aura fallu six jours pour que la compétition officielle démarre réellement, minée auparavant par des essais sans queue ni tête (l’imbuvable Sliptream de Anthony Hopkins en tête, à ne pas voir l’estomac vide), du néo-réalisme simpliste (La maison jaune de l’Algérien Amor Hakkar) et de longs vidéoclips peu recommandables venus d’Espagne, d’Autriche et d’Italie. Aucun film suisse à l’horizon.


Le premier coup de cœur vint de Capitaine Achab du Français Philippe Ramos, improbable reconstitution déracinée du « Moby Dick » de Melville tourné en français en Suède. Découpé en chapitres, le film détourne l’attention du roman vers l’enfance puis le destin tragique du personnage-titre, interprété par un Denis Lavant amputé et rancunier à l’os. La présence du chanteur Katerine, de Dominique Blanc, Jacques Bonnaffé et Jean-François Stévenin a contribué à rendre vivant ce Nantucket de toc et ces scènes fractionnées par des dispositifs ingénieusement cinématographiques.


La voie lactée (Tejút), gagnant de la compétition Cinéastes du présent, annonça une radicalisation dans l’art du Hongrois Benedek Fliegauf, remarqué pour son étonnant Dealer au FFM en 2004. Composé en tableaux, le film se réclame autant de la musique ambiant que des compositions mortifères de Roy Andersson. Le coup de poing vint enfin de Loren Cass du jeune Américain Chris Fuller (aucun lien avec Sam), sorte de vision à l’européenne de la déchéance d’adolescents à St. Petersburg en Floride. Malgré quelques effets faciles, la retenue inédite qu’affiche Fuller et sa propension à jouer sur les codes du genre posèrent le film à la fois en réaction et en filiation avec les frasques de Larry Clark et distribua aux festivaliers les rares baffes de cette 60e édition.


© 2008 Charles-Stéphane Roy