2007
Paru dans la revue Séquences
La majorité des critiques présents au Festival de Locarno ont dû s’étouffer en apprenant le palmarès 2007 couronnant The Rebirth. Son réalisateur, Masahiro Kobayashi, était tout aussi surpris : comment une œuvre aussi conceptuelle pouvait-elle faire pareil consensus (positif) auprès du jury?
Kobayashi est méconnu au Québec, aucun des huit films qu’il réalisa entre 1996 et 2006 n’ayant trouvé de distributeur à ce jour, malgré quelques reconnaissances internationales. Fondateur de Monkey Town Productions depuis 1997, il participa à quatre reprises au Festival de Cannes avec Bootleg Film (1999) et Man Walking on Snow (2001) à Un certain regard, puis Koroshi (2000) à la Quinzaine des réalisateurs. Locarno, qui couronna The Rebirth cette année, avait accueilli Amazing Story, un volet de la série « Perfect Education » en 2003.
En dépit de la réception parfois hostile envers Bashing, qui jeta un froid sur la compétition à Cannes en 2005, Kobayashi n’a pas tardé à formuler son nouveau film indésirable. « J’ai débuté l’écriture de Rebirth dès l’automne suivant, un travail qui s’est étiré sur deux années entières, a révélé le cinéaste. Le financement fut long et ardu, tout comme le casting; j’avais d’abord proposé le rôle masculin à un acteur auquel je croyais beaucoup, mais il a refusé devant si peu de dialogues à livrer… Nous avons poursuivit notre chemin prudemment puis un autre acteur est passé mais ne voulait pas remettre sa participation jusqu’à ce que des fonds se libèrent, ce qui est arrivé un an plus tard. Comme je ne comprenais pas ces réticences, j’ai décidé d’incarner Junichi [le père de la victime] moi-même. »
Écrire presque uniquement des silences et des gestes nécessita une méthode de travail inédite chez le réalisateur de Film Noir et Flic. «La première version de Rebirth était très brute, de manière à me permettre de prendre un maximum de décisions durant le tournage à l’usine et au dortoir, explique-t-il. J’écrivais des situations qui se résumaient à des phrases comme ‘Elle travaille à la cuisine’. Ce n’était pas du Hitchcock… Néanmoins, il y avait beaucoup de confusion sur le plateau ! Mais je crois aujourd’hui que toute cette confusion nous a aidé. »
La complexité émotionnelle du film tient entre autres dans l’isolement qu’ont partagé les acteurs avec leurs personnages. « Dans les 40 premières minutes, Noriko et Junichi n’apparaissent ensemble dans aucune scène, c’était un parti pris délibéré, a admis Kobayashi. Toutefois, Makiko Watanabe, l’interprète de la mère de la meurtrière, tenait à être sur le plateau même lors des scènes qui ne concernaient pas son personnage. Il faut apprendre à jouer seul, à interpréter des gestes répétitifs avec imagination. »
Pour Makiko Watanabe, jouer dans un film de Kobayashi fut une expérience à la fois familière et déroutante. « Je connaissais quelques-uns des films que Kobayashi a réalisés, je trouvais qu’il parvenait à capter des ambiances intrigantes, s’est remémoré l’actrice. Le scénario que j’ai reçu après avoir accepté sa proposition de tourner pour lui était cryptique, difficile à imaginer en termes de séquences. Après avoir défilé sur les podiums comme mannequin de mode durant 10 ans, voilà que je me retrouvais dans des espaces réels à jouer constamment le dos courbé, en traînant mon corps d’un endroit à l’autre, les cheveux constamment dans le visage. »
Comme dans Bashing, les personnages de Rebirth vivent difficilement leur solitude, de manière encore plus radicale qu’auparavant. « Depuis toujours, les êtres seuls vivent dans la marginalité, et je me considère que un des leurs, a admis le réalisateur. Pour mon 10e film, je me suis inspiré des gens proches de moi qui m’ont marqué, qui ont entamé une nouvelle vie et qui, je me rends compte, m’ont donné dès ma jeunesse le goût du cinéma. Mais je ne voulais pas faire non plus un film pour la minorité, et la solitude n’est pas le seul thème ; c’est pourquoi les personnes luttent contre cette nature et espèrent une vie meilleure. »
Le malheur passé demeure un poids sur les épaules de Noriko et Junichi, qui doivent trouver le courage d’entrer en contact l’un à l’autre pour s’arracher à leur culpabilité. « La culpabilité broie plusieurs familles chez moi, a observé le Japonais. Lorsqu’un crime survient, on les expose trop souvent à la télévision plutôt que les familles des criminels, et je me suis demandé pourquoi il en était ainsi. Pour retrouver la force de vivre, mes personnages doivent sublimer les mœurs japonaises et apprendre à pardonner par eux-mêmes. »
© 2008 Charles-Stéphane Roy