mardi 29 janvier 2008

Critique "Still Life"

STILL LIFE
de Jia Zhang Ke

2007

Paru dans la revue Séquences


Récipiendaire de dernière minute à la Mostra de Venise en 2006 (le film avait été inséré dans la compétition à quelques jours de la clôture), Still Life est l’aboutissement d’une réflexion et d’un travail esthétique sur les communautés vallonnant le Barrage des Trois Gorges, le chantier pharaonique près de la rivière Yangtze dans la province Shanxi entamée par le documentaire Dong, également présenté (hors compétition) à Venise. Cette précision n’est pas banale, tant les deux films se font de l’œil une et l’autre. Alors que le documentaire place les individus au centre d’un lieu en proie à des mutations irréversibles, la fiction engouffre ses personnages dans leur environnement, qui dicte leurs rapports et fracture leur passé au son des habitants recrutés pour démolir pierre par pierre leur propre village.


Still Life constitue sans doute aussi le prolongement le plus naturel de The World, l’évolution de vivants dans un cadre plus grand que nature où s’épanche l’industrialisation sauvage. Jia Zhang Ke, cinéaste sensible peu porté sur le spectaculaire et l’impudique, manie ici le panoramique pour couvrir à ciel ouvert la perte d’intimité de ses personnages, écartés de leur maison et leur quartier. Ils sont dépeints par une caméra numérique au grain lourd, tachetant l’écran d’humidité, présentant les forêts avoisinantes comme une beauté dépérissante.


Le film suit un homme et une femme dont la route ne se croisera jamais même si elles franchissent les décombres de la même ville. Leur retour dans la région est motivé par une campagne qui ne les nourrit plus comme le souvenir de leurs proches. Un mineur badaud veut revoir la femme qu’il a achetée et leur fille après 16 ans d’absence. La femme, plus distinguée, cherche son mari à son tour. Les voilà revenus sur les ruines de leur échec, perdu dans un décor où le progrès s’impose en détruisant tout sur son passage. Avec quelques touches oniriques, la nature morte de Zhang Ke se mue en un tableau vivant bordé de chansons d’amour, de clins d’œil politiques et d’objets signifiants, tel l’hommage bon enfant aux nouveaux exilés sédentaires d’une contrée nourricière en proie à un avenir poussiéreux.


© 2008 Charles-Stéphane Roy