de Lucile Hadzihalilovic
2005
Paru dans la revue Séquences
Productrice et monteuse de certains films de Gaspar Noé, Lucile Hadzihalilovic signe avec Innocence un premier long métrage tout sauf candide, surprenant de rigidité car cloîtré dans des cadres étouffants où s’évapore une poésie cartésienne, bien loin de ses deux inspirations avouées, Picnic at Hanging Rock (Peter Weir, 1975) et Suspiria (Dario Argento, 1977).
Voilà donc une série B intellectualisée au possible, maladroitement pressurisée par le rythme saisonnier régissant l’éducation de ces jeunes élèves internées dans un improbable pensionnat pour fillettes autrement plus inquiétant qu’à Poudlard. Une tension émane dès ce générique artificiellement vieilli nous guidant jusqu’à l’habile et intrigante série de plans d’exposition en mode caméra subjective, comme si un abîme en cachait nécessairement un autre.
Une fillette arrive, d’autres disparaissent, on ne pose pas les bonnes questions, les professeures jouent avec les nerfs de tout le monde ; ce qu’une main rassure, l’autre menace. Il en est de même de cette initiation alambiquée aux rites sociaux, éducatifs, sexuels ou simplement oniriques de la féminité pré-adolescente : il demeure toujours hasardeux de concevoir un thriller sans thrill, une étude sociale en huis clos ou une fabulation réaliste sans sacrifier l’intérêt du spectateur en cours de route…
Le fétichisme alloué aux décors, aux costumes et aux ambiances sonores (robes bien blanches, nattes savamment nouées, forêt étonnamment propre, cours d’eau tonitruant) assure toutefois un charme certain et réfère aux meilleurs films collégiaux britanniques d’après-guerre de Ronald Neame, Anthony Asquith ou Lindsay Anderson. Subsiste l’attention traditionnelle mais néanmoins bien sentie portée aux sensations par le froissement des rubans, les couleurs saturées des intérieurs ou simplement par le fantôme de Janacek dans la classe de danse ; en attendant avec curiosité son second film, Lucile Hadzihalilovic, avec une perversion toute janséniste, nous aura finalement effleuré l’épiderme sans parvenir jusqu’à notre mémoire.
© 2007 Charles-Stéphane Roy