mardi 26 mai 2009

Critique "Demain"


DEMAIN
de Maxime Giroux
2009
Paru dans la revue Séquences

Micro-manifeste de la banalité extrême

Sophie, Tellement les rues sont longues, et finalement Demain. Le premier projet de long métrage de Maxime Giroux, l’un des court-métragistes québécois les plus visibles à l’international, est passé à travers plusieurs titres et identités (le casting initial était fort différent de celui qu’on retrouve à l’écran) avant d’adopter sa forme finale. Des attentes irréalistes ont précédé une sortie finalement fort discrète et une reconnaissance quasi inexistante à l’étranger. Comment expliquer ce revirement?

Le refus notoire de Maxime Giroux de composer avec les goûts du jour du cinéma commercial s’inscrit directement dans cette aspiration générationnelle animant ses contemporains Denis Côté, Rafaël Ouellet, Stéphane Lafleur et Yves-Christian Fournier, un trait esthétique pourtant excavé, peaufiné et adopté en masse à l’étranger depuis les premiers films des frères Dardenne il y a maintenant… une quinzaine d’année, prouvant à nouveau le décalage du cinéma québécois avec les tendances internationales (pointues ou non).

Demain dépasse pourtant plus le simple prolongement de ce courant d’hyper-réalisme; de par sa volonté d’écarter toute attente dramatique, le film peut être vu comme l’aboutissement de ce cinéma volontairement non-commercial borné au présent, aux arcs narratifs complètement relâchés, et dont le souci se limite à la construction des scènes au détriment de leur contenu même.

Demain dévoile malgré tout plusieurs talents. Celui d’abord d’Eugénie Beaudry, qui incarne avec beaucoup de naturel le personnage principal, une toute jeune fille vivotant entre son père diabétique et un nouvel amoureux tantôt placide, tantôt caractériel. Le film repose tout entier sur ses épaules et son étonnante absence d’expression, en dépit d’une vie sans relief, ni d’ambition particulière. Pourtant, on s’accroche d’emblée à ses errances, son incapacité à provoquer quoi que ce soit, son vide secret, ne serait-ce que par son incapacité à regarder derrière elle.

L’autre talent manifeste est celui de la directrice photo Sara Mishara, devenue la cadreuse référence du réalisme social, de l’ordinaire élégant. Complice et créatrice à part entière aux côtés des jeunes loups Lafleur et Fournier – son regard fut réquisitionné récemment par Bernard Émond sur son prochain film Les fins dernières, sa contribution tend plutôt à tirer ici vers le haut cet ensemble de scènes si dépouillées qu’elles frôlent sans cesse la désincarnation absolue.

Il ne faut toutefois pas se laisser leurrer par l’aridité de la démarche; même s’il semble envisager ce chemin de croix selon un imperturbable vœu de simplicité, Maxime Giroux demeure, et de loin, l’intérêt principal de son propre film. Aucune comparaison avec ses jeunes contemporains ne tient la route : Giroux est, quitte à se nuire lui-même, dans une classe à part, quand bien même son essai pourrait compromettre la suite des choses. Qu’on soit d’accord ou non avec sa vision de ce que devrait être une histoire au cinéma, le cinéaste manifeste un indéniable savoir-faire et, ironiquement dans ce cas-ci, un réel attachement envers ses personnages, une lacune contagieuse chez ses verts pairs, plus portés sur l’audace formelle ou narrative.

Or, bien que le type de cinéma que pratique Giroux requiert habituellement un certain seuil d’exhibition psychologique, l’un des nombreux interdits de Demain est justement l’absence de causalité émotive chez les personnages, qui semblent pourtant tous atteints d’un manque de perspective face à leurs comportements interpersonnels. Giroux et son coscénariste Alexandre Laferrière – qui a signé la plupart des courts du réalisateur – ont plutôt opté pour des interstices dramatiques, laissant du même coup en plan le spectateur, qu’on force à colmater l’abysse intérieur des personnages du film.

Un pareil agenda ne pouvait qu’afficher rapidement ses limites et l’inévitable prédictibilité de sa conclusion; ici, Sophie finit par imposer son implosion au laxiste Jérôme. Aucune rédemption ou réhabilitation n’est possible, l’ouverture vers la famille ou l’amour ne peut mener qu’à la désintégration. On aurait pu croire que Giroux allait calquer son héroïne sur ces saintes martyres qu’affectionne maladivement Lars von Trier; si Sophie n’est jamais réellement victime de la détresse des hommes, elle se vautre de plus en plus profondément dans un désoeuvrement compulsif, quitte à devenir parfaitement invisible.

Le postulat, déconcertant à première vue, s’ajoute pourtant à une curieuse adéquation entre l’hésitation idéologique (nihilisme ou jansénisme?) et la maturité formelle. La proposition n’est pas sans promesses, mais aussi singulière soit-elle, l’expérimentation que constitue Demain ne peut qu’aboutir à un cul-de-sac quand même.

© Charles-Stéphane Roy 2009