mardi 26 mai 2009
Bertrand Tavernier au Festival de Berlin 09
59e FESTIVAL DE BERLIN
2009
Paru dans la revue Séquences
Tavernier, la bête lumineuse
Le vétéran Bertrand Tavernier est revenu à Berlin cette année avec In the Electric Mist, l’attendue adaptation du roman éponyme de l’Américain James Lee Burke, vénéré en France comme l’un des plus brillants héritiers du polar classique. Largement ignoré par la critique, le film a aussi laissé de marbre le jury mais invite à redécouvrir un incontournable du cinéma français épris de culture américaine.
Tavernier n’avait pas pris la caméra et le mégaphone depuis le bien-pensant Holy Lola en 2004, mais à 68 ans, on préfère l’ancien critique plus sélectif, quitte à l’attendre… au détour. L’affiche d’In the Electric Mist avait tout pour faire oublier cette absence : Tommy Lee Jones et John Goodman, tous deux résidants aux bordures des bayous louisianais, avaient la gueule et le vécu de l’emploi pour incarner les irascibles Dave Robicheaux et Julie 'Baby Feet' Balboni ; ajoutez à ce duo Peter Sarsgaard, Mary Steenburgen, Ned Beatty, John Sayles et le guitariste Buddy Guy dans de petits rôles et l’ensemble a tout l’air du billet vers la gloire américaine, 20 ans après que Tavernier ait sillonné le territoire cajun avec Mississippi Blues et 'Round Midnight.
Hélas, le film déballe tous les défauts de la coproduction malheureuse – ici entre les Etats-Unis et la France – surtout au niveau du montage, des dérives artistiques et de la tension du récit, ce qui a tôt fait de saccager le réel capital d’authenticité déployé par Tavernier pour manifester son amour profond envers la culture et les mœurs sudistes.
« J’ai eu une fascination pour Robicheaux dès ses premières apparitions dans les roman de Burke ; en fait, j’aurais pu choisir n’importe quelle de ses nouvelles, mais In the Electric Mist semblait la plus acceptable et nécessaire pour résumer l’esprit et les personnages, a confié Tavernier au Festival de Berlin. Je l’aime parce qu’il se bat contre l’imbécillité et la violence, même s’il est souvent colérique et bourré de contradictions. »
Tavernier a découvert l’œuvre de Burke par Philippe Noiret, quelques temps avant sa mort. Le cinéaste aurait même essayé de lui dédier le film, mais son producteur américain l’aurait déconseillé, évoquant des problèmes légaux. « Noiret était fou de Burke, il avait dévoré son œuvre, s’est-il rappelé. Il disait que c’était le plus grand auteur de polar vivant. »
Se félicitant aussi d’avoir pu repêcher John Goodman, qui habite à trois heures des lieux de tournage, Tavernier a parlé du côté évocateur de la Louisiane pour camper son histoire. «Pour moi, l’environnement définit le personnage, quand il ne constitue pas lui-même un personnage à part entière, a-t-il repris. C’est aussi pour cette raison que la plupart des rôles secondaires ont été confiés à des non-professionnels, qui étaient de toute façon un peu tous théâtraux à leur manière. » Pour sa part, le directeur photo Bruno de Keyzer a dû passer plusieurs jours à trouver avec le réalisateur les bons lieux de tournage, notamment à cause de la lumière constamment capricieuse dans ce coin des Etats-Unis.
Le cinéaste a pu compter sur Burke lui-même pour compléter le scénario du film, ce dernier n’hésitant pas à modifier des dialogues ou réécrire certaines scènes entières. Tommy Lee Jones, avec qui Tavernier a avoué avoir connu quelques prises de bec durant le tournage, a toutefois contribué à sa manière au scénario en y allant de suggestions. « J’aime collaborer avec des acteurs s’impliquant dans chaque scène, et Jones fut l’un de ceux-là. Il peut évoquer le passé de son personnage avec un seul mot, une seule intonation. »
Avouant avoir pris à son tour certaines libertés avec le roman de James Lee Burke, Tavernier a tenu à rendre compte dans son film de l’état actuel de la Louisiane suite aux ravages de l’ouragan Katrina. « Le fait d’avoir fait référence à Katrina n’était pas un geste purement politique, mais témoignait surtout d’une réalité à laquelle nous avons eu à faire face durant le tournage, expliqua le réalisateur. J’ai rencontré des nonnes qui s’activaient à reconstruire une église, cela définissait autant l’état actuel de cette région, que le caractère propre de cette communauté, habituée à se relever après avoir vécu plusieurs drames. De plus, il m’apparaissait intéressant de faire en sorte que le personnage de Balboni ait escroqué l’aide fédérale à Katrina au lieu de s’occuper de cinémas pornos comme c’était le cas dans le livre. Le fait est authentique, car plusieurs dizaines de millions de dollars ont disparu durant la tragédie. » Goodman, de son côté, a avoué devoir composer avec l’après-Katrina depuis maintenant trois ans : « Cela fait partie de nos vie, et ce sera le cas pour les années à venir. »
© Charles-Stéphane Roy 2009